L’intelligence des oiseaux (8)

Auteur : Bernard Danhaive
Photo d'entête : Bernard Danhaive

Pas si bêtes les poulets !

Et pour clôturer cette série d’articles consacrés à l’intelligence des oiseaux, intéressons-nous à un oiseau très proche et pourtant mal connu… la poule !

Il ne vous a pas échappé que les corvidés et les psittaciformes (perroquets, …) ont été maintes fois pris comme exemples d’oiseaux particulièrement intelligents, ce qui n’est pas nécessairement le cas de la plupart de leurs autres congénères.

Et pourtant, savez-vous que les poules ne sont pas si bêtes qu’elles en ont l’air ?

Dans notre société occidentale, nous avons tendance à considérer les poulets comme stupides et lâches[1].

Cependant, ce préjugé est récent et local. Autrefois et dans d’autres civilisations, les poules et coqs étaient admirés pour leur faculté de monter la garde, de se protéger mutuellement, d’élever les petits et de communiquer entre eux.

Prenons quelques exemples pour illustrer ce propos.

Faire preuve d’empathie

Lorsque leurs poussins sont en situation de détresse, les poules sont capables de ressentir leur état émotionnel, ainsi que l’ont révélé des études. Et leur réaction empathique est déterminée par deux choses : les signaux de détresse émis par les poussins et la connaissance qu’ont les poules du danger encouru par les poussins.

Mémoriser

Les poulets ont une mémoire impressionnante comme l’ont prouvé plusieurs expériences : ils sont capables de mémoriser plus de cent autres faces de poulets et de s’en souvenir après plusieurs mois de séparation. Ils se rappellent aussi les êtres humains et se détournent des personnes qu’ils n’apprécient pas.

Comprendre et compter

Les poulets sont capables de comprendre des concepts abstraits.

Peu de temps après la naissance, ils peuvent identifier un objet tout entier quand on en cache une partie. Ils peuvent également localiser des objets entièrement cachés. Les poussins ont donc conscience qu’un objet continue d’exister lorsqu’il n’est plus dans leur champ visuel. Cette compétence, qui s’appelle la permanence des objets, apparaît vers 12 mois chez l’être humain.

Ensuite ils ont des compétences en arithmétique. Ils peuvent ainsi distinguer un nombre plus grand et un nombre plus petit d’objets.

  • Lorsqu’on cache à plusieurs endroits, sous leurs yeux, des objets avec lesquels ils aiment jouer, les poussins se dirigent vers l’endroit contenant le plus d’objets.
  • Et si on déplace plusieurs fois des objets d’un endroit à l’autre pour simuler des additions et des soustractions, trois-quarts des poussins se sont dirigés vers l’endroit où se trouvaient le plus d’objets.

Savoir compter sert à cibler la nourriture la plus intéressante. Savoir compter peut aussi servir à découvrir si un oiseau parasite est venu rajouter un œuf dans son nid.

Encore plus fort : ils sont capables d’anticiper l’avenir.

Des chercheurs ont appris à des poules à donner un coup de bec sur des boutons de couleur pour obtenir de la nourriture. Si une poule n’attendait qu’un court instant avant de presser le bouton, elle recevait une petite ration ; si elle patientait, elle en recevait une grosse. Et neuf fois sur dix, les poules choisissaient d’attendre plus longtemps pour recevoir davantage à manger.

Cette capacité était autrefois réputée propre aux êtres humains et aux primates.

Se soigner

Les poulets peuvent aussi tirer profit de leur expérience personnelle. Lorsqu’on met à leur disposition des granulés ordinaires et des granulés – d’une autre couleur – contenant un anti-inflammatoire, les poulets se rendent compte des effets antalgiques du médicament et, lorsqu’ils sont blessés à la patte, consomment sélectivement les granulés de couleur.

Communiquer

Le langage des poules leur permet d’exprimer de nombreux messages, intentions, et détails.

Elles produisent au moins trente formes distinctes de vocalisations, concernant le territoire, les lieux, l’accouplement, la couvaison, la soumission, la détresse, l’alarme, la peur, la nourriture, la satisfaction.

Comme chez beaucoup d’oiseaux, deux cris d’alarme sont émis, en fonction de l’endroit où se situe le danger : dans les airs ou au sol.

Coq et poules - Bernard Danhaive
Coq et poules – Bernard Danhaive

Les coqs peuvent se montrer « galants » en appelant les poules quand ils trouvent un ver ; mais ils restent muets en présence d’un autre mâle !

Et ils font parfois preuve de tromperie. Pour s’attirer les faveurs des poules et les faire venir vers eux, ils feignent la présence de nourriture en poussant un cri.    


Un peu d’histoire

Les gallinacés domestiques Gallus gallus domesticus sont tous issus des poules Bankiva Gallus gallus qui vivent dans les forêts du sous-continent indien et en Asie du sud-est. Les poules ont été domestiquées il y a environ 8000 ans, puis ont été introduites au Moyen-Orient et en Égypte durant le deuxième millénaire avant J.-C., en Europe durant le premier millénaire avant J.-C. et au XVIe siècle en Amérique.

Poule Bankiva - Philippe Selke
Poule Bankiva – Philippe Selke

Les poules actuelles ont fait l’objet de sélections génétiques intenses, pour en faire des pondeuses « à la chaîne » et pour faire accroître la masse musculaire des poulets.


Et terminons par quelques citations en rapport avec l’intelligence …

Le ver mérite d’être dit intelligent, car il agit presque comme le ferait un homme placé dans des circonstances analogues – Charles Darwin

L’Homme appelle intelligents les animaux qu’il comprend – Jean Painlevé

Si on définit l’intelligence comme la faculté d’apprendre des choses nouvelles, de trouver des solutions à des problèmes se présentant pour la première fois, qui donc est plus intelligent que l’enfant ? – Michel Tournier

Ce n’est pas la plus forte ni la plus intelligente des espèces qui survivra, mais celle qui est la plus apte à changer – Charles Darwin

Contrairement à une illusion entretenue pour nous rassurer, nous ne dominons pas la nature. Comprendre et intégrer cette évidence serait une preuve de réalisme, de lucidité et d’intelligence – Pierre Rabhi

L’intelligence, c’est pas sorcier, il suffit de penser à une connerie et de dire l’inverse – Coluche

 

[1] Il est quand même bon de constater que, dans nos civilisations, nous évitons de prêter des capacités cognitives ou des « sentiments » aux animaux qui se retrouvent dans nos assiettes… Un signe de lâcheté ou une protection psychologique ?

Bibliographie