Silence, on chante

Auteur : Thierry Maniquet
Photo d'entête : Bruant des roseaux — Bernard Danhaive

Chants, cris, coassements, stridulations : les animaux, depuis la nuit des temps, ont appris à communiquer en émettant des sons tantôt pour attirer un partenaire, tantôt pour communiquer avec leurs petits, maintenir le contact avec leurs congénères ou réagir à l’approche d’un prédateur.

Pour ce faire, ils ont dû tenir compte des différentes sources naturelles de bruit : souffle du vent, clapotis d’un cours d’eau, rugissement d’une cascade, ….

L’évolution leur a permis de sélectionner les comportements les plus adéquats pour s’accommoder de ces contraintes. Ainsi les oiseaux chantent généralement en début de journée, lorsque l’atmosphère est en principe plus calme (souvent moins de vent) et propice à une bonne dispersion du son. Dans un autre registre, chez les cigales, certaines espèces cessent de chanter lorsque d’autres interviennent dans le même choeur.

Les temps changent et les oiseaux tentent de s’adapter

Depuis quelques dizaines d’années, la faune sauvage, surtout (mais plus seulement) quand elle vit en ville, se trouve confrontée à de nouvelles sources de bruit. Mettons-nous à la place d’une Mésange charbonnière qui émet un chant à 50-60 dB, et qui se voit en concurrence avec le bruit de nos conversations (60-65 dB), de la circulation routière ou des aboiements d’un chien (75 à 80 dB) ou pire encore avec le vacarme d’une discothèque ou d’un avion (105 à 130 dB).

De plus en plus d’études montrent à quel point ces nouveaux concurrents ont un impact négatif sur nos oiseaux chanteurs (mais pas seulement).

Certes, les animaux ont souvent montré des capacités d’adaptation étonnantes face à de nouvelles contraintes. Face au bruit, cela a également été démontré :

  • La Mésange charbonnière, le Merle noir et le Rougegorge familier, par exemple, en présence de trafic routier, peuvent décaler leur chant vers les hautes fréquences. Une telle adaptation semble cependant impossible chez des espèces qui, à la base, ont un chant trop aigu ou trop grave ; une étude a ainsi montré que le Roitelet huppé, au chant très aigu, était parmi les moins tolérants à des niveaux sonores élevés ;
  • Dans une étude menée en Allemagne, il a été constaté que le Rossignol philomèle était capable de chanter plus fort (jusqu’à 14 dB) en fonction de l’intensité du bruit de fond. Le week-end, lorsque la circulation est moindre, il peut se contenter de chanter moins fort !

    Rossignol philomèle – Didier Kint
    Rossignol philomèle – Didier Kint
  • Dans des territoires bruyants, le Rougegorge familier choisit des postes de chant plus élevés, sans doute pour pouvoir continuer à entendre ses rivaux ;
  • Le Rougegorge, encore lui, peut davantage chanter la nuit, tandis que le Merle entame son chant matinal plus tôt.

Des ornithologues espagnols ont ainsi étudié en 2011 et 2012 les effets du bruit des avions sur l’heure de début du chant des oiseaux vivant à proximité d’aéroports (en Espagne et en Allemagne).

Il a ainsi été constaté que toutes les espèces confrontées au bruit des avions avaient avancé le début de leur activité sonore (de 24 minutes en moyenne) par rapport à un site de référence plus calme.

La différence a été la plus marquée chez des espèces chantant relativement tard dans la matinée (comme par exemple le Coucou gris) ; elle a été moindre chez des oiseaux déjà habitués à chanter la nuit (comme le Rossignol philomèle ou la Bouscarle de Cetti), et l’effet a été moyen chez des espèces comme la Mésange bleue ou le Merle noir.

Les effets pervers du bruit

Ces capacités d’adaptation ne signifient cependant pas que les oiseaux ne subissent pas d’effets négatifs de ces contraintes.Tout d’abord, comme on l’a déjà souligné, toutes les espèces n’ont pas nécessairement les mêmes plasticités pour modifier leurs comportements.

Bouscarle de Cetti – Patricia Cornet
Bouscarle de Cetti – Patricia Cornet

Et quand bien même elles y arriveraient, ce n’est pas nécessairement sans conséquence : en choisissant de chanter à de plus hautes fréquences, le Rougegorge n’émet plus les éléments de basse fréquence de son chant, en réponse à un rival, ce qui affecte sans doute négativement sa capacité à défendre son territoire. Perte de temps, d’énergie (non compensée par une augmentation de nourriture ingérée) et risque de blessure accru risquent d’en résulter ; une étude sur le Moineau domestique a établi un lien entre la taille de la ponte, le poids des oisillons et le bruit de fond. La pollution sonore pourrait ainsi avoir un effet sur le taux de nourrissage des poussins et/ou sur la communication entre parents et jeunes au nid ; des observations de Mésanges charbonnières sur une mangeoire placée en milieu bruyant ont montré une augmentation du temps de vigilance au détriment du temps passé à se nourrir ; le bruit ayant ainsi un impact négatif, il peut en résulter un changement dans la diversité et le nombre d’oiseaux présents dans les zones bruyantes. Une étude menée en Suisse sur le Bruant des roseaux a démontré que les mâles exposés à la pollution sonore restaient plus souvent sans femelles, soit parce que celles-ci s’écartent de ces zones, soit que les mâles présents dans ces zones soient des individus n’ayant pas réussi à s’accaparer un meilleur territoire et soient dès lors moins attractifs ; si des espèces décalent leur période de chant, cela peut entraîner un chevauchement encore plus important entre les chants de différentes espèces, et par conséquent une moins grande efficacité ; des modifications hormonales (une réduction du taux de mélatonine, l’hormone du sommeil) ont été constatées chez plusieurs oiseaux en zone urbaine.

Si la pollution sonore affecte notre quotidien, il apparaît ainsi que nous ne sommes pas les seules victimes de ce fléau de nos temps modernes.

Vu l’état déjà dégradé de nos populations d’oiseaux, il y a donc lieu d’y être attentif.

Bruant des roseaux – Thierry Maniquet
Bruant des roseaux – Thierry Maniquet

Sources (voir également les références citées dans ces différents articles) :

  • T. Lengagne, Pollution sonore et biodiversité, L’Oiseau Mag, été 2018, LPO
  • Faites moins de bruit et vous verrez plus d’oiseaux, Ornithomedia, 07/10/2011
  • Les dix espèces d’oiseaux les plus sensibles au bruit en Espagne, Ornithomedia, 23/04/2013
  • Pour s’adapter au bruit, le rougegorge doit prendre de la hauteur, Ornithomedia, 25/10/2014
  • Les oiseaux vivant près des aéroports chantent plus tôt, Ornithomedia, 16/04/2016