Auteur : Thierry Maniquet Photo d'entête : Cigognes blanches - Thierry Maniquet
Facile à identifier, chargée de symboles, la Cigogne blanche est un de ces oiseaux qui ne laissent personne indifférent.
Sujette aux migrations spectaculaires (vols en groupes pouvant compter plusieurs dizaines d’individus, arrêts dans des endroits saugrenus comme les toits de maison ou les lampadaires bordant nos autoroutes), elle attire régulièrement l’attention des médias.
Dans les lignes qui suivent, nous allons nous intéresser à sa migration printanière.
La cigogne à la lance
Commençons par une histoire à peine croyable.
Nous sommes le 21 mai 1822 près de Klütz dans le Mecklembourg -Poméranie-Occidentale. Une cigogne passant en migration est abattue par le comte Ludwig von Bothmer.
Lorsqu’il découvre le cadavre de l’oiseau, quelle n’est pas sa surprise de constater que le cou de l’oiseau est transpercé par une lance de 80 cm.
Après examen, il s’avère que cette lance est originaire … d’Afrique orientale.
Cet oiseau, baptisé Pfeilstorch (cigogne à flèche) est aujourd’hui toujours visible à l’Université de Rostock.
Depuis lors, environ 25 cas similaires ont été recensés.
Cet événement malheureux a en définitive contribué à établir que certains oiseaux présents chez nous en été passaient l’hiver en Afrique.
Jusqu’à alors, et ce depuis l’Antiquité, les théories les plus farfelues couraient quant au devenir de nos oiseaux en hiver (transmutation en une autre espèce selon Aristote, hibernation dans des cavités, voire envol jusqu’à la lune !).

Les lieux d’hivernage
La Cigogne blanche est une espèce migratrice transsaharienne.
Pour y arriver, deux grandes voies de migration sont utilisées :
- la voie occidentale passant par le détroit de Gibraltar qui concerne les oiseaux nichant globalement à l’ouest de l’Allemagne. Elle amène les oiseaux au Sénégal, au Cameroun, au Mali, au Niger, en Mauritanie, au Burkina Faso, au Nigeria, en Guinée-Bissau et en Côte d’Ivoire ;
- la voie orientale passant par le détroit du Bosphore qui concerne les populations est-européennes. Elle conduit les oiseaux vers la Haute-Égypte, les plateaux de l’Ouganda, les savanes du Kenya et de la Tanzanie, jusqu’en Afrique du Sud.
Les observations réalisées chez nous concernent donc les oiseaux prenant la voie occidentale et plus particulièrement les populations hollandaises, allemandes et scandinaves.
Depuis les années ’90, cette voie de migration a vu se développer un nouveau phénomène : de plus en plus d’oiseaux ne franchissent plus la Méditerranée et passent l’hiver en Espagne ou au Portugal.
Actuellement, ce sont ainsi près de 30.000 cigognes qui se retrouvent l’hiver dans le sud de l’Espagne (il n’y en avait que 3000 en 1994) et près de 15.000 au Portugal.
Cette modification de comportement semble essentiellement liée à l’explosion de l’Écrevisse de Louisiane, une espèce invasive, introduite à des fins commerciales.
Le développement des décharges et des rizières a aussi contribué à fixer les oiseaux en Europe.
Si l’on peut déplorer que des causes telles que l’introduction d’une espèce ou l’augmentation de nos déchets soient à l’origine d’une modification de comportements, force est de constater que c’est tout bénéfice pour la Cigogne blanche.
Il a en effet été établi que le taux de survie des jeunes ayant hiverné en Europe est plus élevé que celui des oiseaux ayant hiverné en Afrique. Cela explique dès lors le développement actuel des populations ouest-européennes.
On notera par ailleurs un petit hivernage en France (quelques centaines sur la façade atlantique et près d’un millier sur le pourtour méditerranéen).
Et chez nous ?
Avec l’accroissement des populations, les observations au cœur de l’hiver deviennent de plus en plus nombreuses comme en atteste le tableau ci-après :

La majorité des observations à cette période en Belgique correspond cependant aux populations autour du Zwin et du zoo de Planckendael qui sont partiellement sédentaires.
En Brabant, les observations à cette période de l’année sont possibles également, même si elles ne sont pas annuelles.
L’hiver 2012-2013 a même vu un hivernage complet de deux individus à la limite de Mont-Saint-Guibert et de Court-Saint-Étienne (du 13 décembre 2012 au 2 mars 2013). Ces oiseaux fréquentaient les prairies aux alentours de la décharge de Mont-Saint-Guibert, ainsi que le site de la sablière, incitant même la société Shanks exploitant le site à construire une plate-forme en espérant – en vain – une nidification.
On constate du reste, au vu du tableau ci-dessus, que le mois de janvier 2013 a été particulièrement propice aux observations de cette espèce.
Une première vague en février
Plus discrète qu’en automne, la migration de printemps se manifeste chez nous essentiellement en deux vagues.
Une première vague, de plus en plus marquée, a lieu à partir de la mi-février jusque début mars.

C’est d’autant plus frappant lorsqu’on regarde les statistiques du nombre d’oiseaux vus (remarque : les chiffres ci-dessous concernent toutes les observations confondues ; les chiffres peuvent donc concerner plusieurs fois les mêmes oiseaux).
Année | Observations | Nombre vu | Carré(s) 5km |
2005 | 26 | 59 | 5 (14) |
2006 | 26 | 63 | 8 (9) |
2007 | 30 | 84 | 13 (12) |
2008 | 62 | 280 | 18 (31) |
2009 | 195 | 664 | 42 (75) |
2010 | 228 | 930 | 59 (78) |
2011 | 275 | 1496 | 62 (102) |
2012 | 250 | 789 | 64 (75) |
2013 | 354 | 1280 | 77 (101) |
2014 | 237 | 1188 | 47 (76) |
2015 | 385 | 2088 | 80 (114) |
2016 | 338 | 1773 | 65 (107) |
2017 | 687 | 3618 | 162 (190) |
2018 | 397 | 2159 | 88 (117) |
2019 | 738 | 6104 | 111 (175) |
Total | 4228 | 22575 |
Remarque : dans la colonne « carré », » il s’agit du nombre de carrés où des oiseaux ont été vus sur place et, entre parenthèses, du nombre de carrés où d’autres comportements ont été notés (passage en vol).
Le Brabant wallon n’a pas échappé cette année à cette vague migratoire, avec quelques vols importants signalés :
- 16 exemplaires, le 12 février à Nethen ;
- environ 35 exemplaires, le 14 février à La Hulpe ;
- 60 exemplaires le 16 février à Limal ;
- 30 exemplaires le 17 février à Nivelles ;
- environ 45 exemplaires le 20 février à Court-Saint-Etienne ;
- environ 50 exemplaires le 24 février à Nethen ;
- maximum 31 exemplaires le 1er mars à Nivelles, Braine-L’Alleud, Haut-Ittre (1 ou plusieurs groupes?) ;
- 20 exemplaires le 3 mars à Ittre.
On peut penser que cette première vague concerne des oiseaux ayant hiverné dans le sud de l’Espagne, puisqu’en ce qui concerne les oiseaux passant l’hiver en Afrique, le pic de passage à Gibraltar a lieu durant la première décade de mars.
L’hivernage européen étant de plus en plus important, il serait dès lors logique que les observations de février-mars soient plus nombreuses.
Une deuxième vague en avril
Vous n’avez pas eu la chance d’observer de cigognes lors de cette première vague ? Rien n’est perdu car, traditionnellement, le mois d’avril voit déferler les oiseaux qui ont passé l’hiver en Afrique.

Si, au printemps, la plupart des observations concernent des oiseaux passant en vol, on sera attentif, en cas d’observations d’oiseaux posés, à vérifier la présence de bagues.
De nombreux programmes de baguage concernent en effet cette espèce.
Il est donc recommandé en cas de présence d’oiseaux bagués de bien noter les différents détails : où se trouve la bague (patte gauche/droite, aux deux pattes), couleurs de la bague, indications lettrées/chiffrées) et ensuite de rechercher le programme de baguage sur cr-birding.org afin de pouvoir transmettre les données.
Bonnes observations !
Sources
- BURNEL, A, DE GOTTAL, P et DUCHESNE , P, L’hivernage et la nidification de la Cigogne blanche (Ciconia ciconia) en Hesbaye, Bulletin AVES, 41 1/2, 2004.
- DUQUET, M., La Cigogne blanche, Delachaux et Niestlé, Paris, 2018.
- ETIENNE, P. et CARUETTE, P., La Cigogne blanche, Les sentiers du naturaliste, Delachaux et Niestlé, Paris, 2002.
- SAINT-CARLIER, D., Parés au décollage, Sciencetips, 15.01.2019