Le coquelicot

Auteur du texte et des photos: Thierry Maniquet

S’il est une fleur qui réjouit tout autant le simple promeneur que le photographe en quête de sujet aux infinies possibilités graphiques, c’est bien le coquelicot dont le rouge, rappelant la crête du coq, embellit nos bords de chemin et sentier, pour peu qu’on ne l’assassine pas à coups de pesticides.

Et comme vous pourrez le lire dans les lignes qui suivent, c’est aussi une fleur à la charge symbolique importante.

Mai 1915, dans les tranchées d’Ypres, les combattants belges, français, canadiens, américains défendent ardemment leurs positions face à l’armée allemande. Sur les champs de bataille et dans les cimetières, on voit surgir de nombreux coquelicots. Serait-ce le sang des victimes qui colore ainsi le paysage ? On pourrait le croire car lors des guerres napoléoniennes le même phénomène avait été constaté.

Dans un poème devenu célèbre, un médecin du Corps de santé royal canadien, témoin de la chose, écrit à cette époque :

« Sous les rouges coquelicots des cimetières flamands,
Qui parmi les rangées de croix bougent dans le vent,
Nous sommes enterrés. Et dans le bleu des cieux,
Les alouettes encore lancent leur cri courageux
Que plus personne n’entend sous le bruit des canons.

Nous sommes morts : il y a à peine quelques jours,
Nous connaissions les joies de la vie, de l’amour,
La fraîcheur de l’aurore, les lueurs du ponant.
Maintenant nos corps sans vie reposent en sol flamand »[1]

La légende du coquelicot était née.

coquelicot Thierry 9710Trois ans plus tard, une enseignante américaine, ayant découvert ce poème, prit l’engagement personnel de toujours arborer cette fleur en guise du souvenir de la première guerre mondiale. En 1920, une Française en visite aux États-Unis eut vent de la pratique et décida à son retour en France de fabriquer et de vendre des coquelicots pour venir en aide aux enfants des régions de France dévastées par la guerre. Et en 1921, cette fleur devenait officiellement le symbole du souvenir pour les combattants de la guerre.

C’est ainsi qu’aujourd’hui encore, lors des cérémonies du 11 Novembre ou lors de funérailles d’anciens combattants, on voit fleurir aux boutonnières un joli coquelicot.

Mais d’où vient cette soudaine floraison lors de tels événements tragiques ? En réalité, elle est due au fait que les gravats résultant des bombardements libèrent de la chaux qui enrichit le sol en calcaire, ce dont la graine profite pour germer.

Une fois la chaux absorbée, le coquelicot se faisait plus rare.

Durant les dernières années, il avait même tendance à disparaître complètement, en raison de l’utilisation massive d’herbicides.

Mais tout comme nos soldats, la graine fait de la résistance.

Elle peut patiemment attendre le moment favorable pour germer, une graine pouvant garder son pouvoir germinatif pendant 40 ans (certains évoquent même un record de 80 ans).

La symbolique entourant le coquelicot existait déjà bien avant ces épisodes guerriers. Déjà du temps de l’antiquité, elle était symbole de consolation.

Selon une légende grecque, la fleur fut créée pour Déméter, déesse de la Fertilité et de la Terre cultivée. Sa fille Perséphone avait été enlevée par Hadès, Dieu des Ténèbres, pour l’épouser. Déméter était tellement épuisée d’avoir parcouru la Terre à la recherche de sa fille qu’elle ne s’occupait plus de faire pousser le maïs. Aussi, le Dieu du Sommeil lui offrit des coquelicots pour qu’elle s’endorme. Une fois reposée, elle put se consacrer à sa tâche.

Les Anciens croyaient d’ailleurs que la présence de coquelicots dans leurs champs était indispensable à la prospérité du maïs !

Les temps ont bien changé !

Le choix de cette fleur pour apaiser Déméter n’était évidemment pas anodin puisqu’il présente des propriétés sédatives. Les Égyptiens disposaient ainsi des pétales de coquelicots dans les tombeaux pour assurer au défunt un doux sommeil.

Mais c’est aussi en raison de ces mêmes propriétés – qui dort n’est plus maître de lui-même – que cette fleur est parfois vue comme maléfique. Il paraît même qu’en Angleterre et chez nous en Belgique, le tonnerre gronde quand on en cueille.

Cependant, il paraît qu’il suffit d’en placer dans la charpente d’un toit pour être protégé de la foudre.

coquelicot Thierry 9426Et ces taches noires au fond du coquelicot ne sont-elles pas un signe du diable ? C’est bien ce que l’on pense dans la région de Dinan en France : il s’agirait en effet d’empreintes laissées par le diable pour l’éternité. Dieu lui aurait confié cette fleur pour punir celle-ci de la fierté que lui inspirait sa beauté.

Je terminerai cette chronique par une petite devinette : connaissez-vous le lien entre le coquelicot et une … salière ?

Question bizarre, non ?

Et bien figurez-vous que ce serait en examinant la dispersion des graines de coquelicots s’échappant de la capsule de la fleur par de petits trous que le savant autrichien Raoul Heinrich Francé aurait eu l’idée d’inventer la salière.

La nature est bien faite, non ? Alors protégeons-là et profitons de la floraison éphémère de cette jolie fleur pour en faire des photos. Mais ne la cueillons pas car elle ne résistera pas.

Sources

[1]   Extrait de Lcol. J. McCrae, In Flanders Fields