Auteur : Bernard Danhaive Photo d'entête : Vincent Rasson
Virtuosité vocale
La gent ailée est, dans le règne animal, celle qui a développé une expression vocale parmi les plus sophistiquées et élaborées. Indépendamment des organes impliqués dans la formation des sons chez les oiseaux, des capacités cognitives sont apparues au cours de l’évolution pour produire ces récitals qui nous enchantent.
Mais d’abord, pourquoi chanter ?
Chanter est une activité risquée et coûteuse. En effet, l’oiseau est plus repérable par les prédateurs et cette activité prend du temps, qui pourrait être plus utilement consacré à la recherche de nourriture.
Il doit donc y avoir de bonnes raisons de chanter !
Outre les motivations territoriales, le chant a pour fonction d’attirer et de séduire la femelle.
En effet, un mâle qui est en forme, avec un contrôle moteur efficace, aura un chant décidé, ample et de longue durée, ce que n’aura pas un individu faible. On peut donc affirmer qu’un chant étincelant est un indicateur de son intelligence et de sa bonne santé, gage de réussite pour la future reproduction.
Imitations
La faculté d’imiter les sons est la condition préalable essentielle au langage.
Il existe d’ailleurs des similitudes entre l’apprentissage du chant chez l’oiseau et celui de la parole chez l’homme, en termes de processus d’imitation et de structures cérébrales concernées.
L’apprentissage vocal est pratiqué par plusieurs espèces d’oiseaux, comme les perroquets ou les colibris, mais également par quelques mammifères marins, par les chauves-souris, … et par l’homme !
Dans certains cas, l’imitation est utilisée pour détourner d’autres oiseaux d’une nourriture convoitée : les Drongos brillants (Dicrurus adsimilis), très bons imitateurs, émettent de faux cris d’alarme de Cratéropes bicolores (Turdoides bicolor) pour se saisir des vers de farine lâchés par les cratéropes pour se mettre à l’abri.
Dans le sud de l’Allemagne, un Cochevis huppé (Galerida cristata) a appris à reproduire les quatre notes sifflées qu’un berger émettait pour commander à ses chiens. L’imitation était tellement fidèle, qu’elle trompait les chiens. Et comme ces imitations se sont transmises à d’autres cochevis, les chiens se sont bientôt trouvés à court d’haleine à devoir exécuter les « en avant », « plus vite », « stop », « venez ici » !

Un des oiseaux les plus doués dans le domaine de l’imitation est le Moqueur polyglotte (Mimus polyglottos), capable d’enchaîner vingt imitations de cris et de chants par minute.
Nous connaissons également chez nous les capacités d’imitation des hypolaïs et verderolles qui, tout au long de leur trajet de migration, vont s’imprégner des chants et cris des oiseaux côtoyés et les intégrer dans leurs vocalises.
Hypolaïs polyglotte – Sacha d’Hoop
Et parmi les meilleurs imitateurs de la parole humaine, citons les Perroquets Jaco ou Gris du Gabon (Psittacus erithacus), les mainates ou les cacatoès.
Comment fonctionne le processus d’apprentissage ?
Sur base d’expérimentation sur le Diamant mandarin (Taeniopygia guttata), on a observé les phases suivantes :
- D’abord le jeune écoute – avec une détection de fréquences beaucoup plus étendues que chez l’homme – et enregistre le chant perçu comme une image cérébrale. Pendant deux semaines, il reste silencieux tandis que le cerveau développe des réseaux de cellules nerveuses.
- La deuxième phase du processus d’apprentissage commence ensuite. Durant celle-ci le jeune explore sa voix – ce qui est comparable au babillage du bébé – pour affiner le contrôle musculaire du chant.
- Quelques semaines à quelques mois plus tard, et après plusieurs essais/corrections, le chant est correctement interprété.
A l’âge adulte, les grands imitateurs continuent à pouvoir apprendre, mais l’apprentissage devient plus difficile – à l’instar de l’apprentissage des langues chez l’homme !
Les oiseaux aussi se méfient des rumeurs
Lorsqu’une sittelle est avertie d’un danger, elle sait faire la distinction entre un signal direct ou indirect.
Une étude parue dans Nature et réalisée en Amérique du Nord s’est intéressée à la réaction de la Sittelle à poitrine rousse (Sitta canadensis) et de la Mésange à tête noire (Poecile atricapillus) face à un signal d’alerte.
La mésange joue le rôle de sentinelle dans un groupe de plusieurs espèces d’oiseaux : elle donne l’alerte lorsque survient un danger.
Lors de l’expérience, la menace directe était représentée par la diffusion de cris de deux rapaces, prédateurs des mésanges et des sittelles, et la menace indirecte, par la diffusion du cri d’alerte de la mésange face à ces mêmes prédateurs. La sittelle – a-t-on constaté avec surprise – parvient à faire la différence entre les deux types de signaux.

Quand il s’agit de menace indirecte, la sittelle émet un cri différent de ceux qui correspondent aux deux prédateurs.
Elle transmet donc l’information, mais avec plus de « précaution » que si la menace était directe.
Les sittelles font donc attention à la source des informations et modulent leur réaction en fonction de celle-ci !
Les oiseaux sont-ils musiciens ?
A certains égards, on peut en effet affirmer que les oiseaux sont musiciens.
En effet, certaines espèces peuvent être considérées comme des inventeurs sonores, des compositeurs. Chaque merle, par exemple, a son répertoire propre et le remet à jour d’une année à l’autre.
Et les meilleurs imitateurs sont souvent aussi les meilleurs inventeurs.
Quelques exemples ?
- Les Rousserolles verderolles (Acrocephalus palustris) intègrent dans leur chant des signaux d’alarme d’autres espèces, non pas comme alarmes, mais comme éléments d’un chant. Cela suppose une certaine capacité d’abstraction.

- Lorsqu’une Pie-grièche à poitrine rose (Lanius minor) imite le chant du coq, elle le transpose dans un registre et un tempo qui lui sont propres. Cela signifie qu’elle a une vision de la forme sonore globale et qu’elle est capable de la manipuler.
- En outre, les chants d’automne, que plusieurs espèces reprennent après l’interruption de l’été, sont souvent plus mélodieux et plus raffinés que les revendications territoriales décidées, au printemps. C’est comme si l’absence de visées territoriales favorisait un certain dilettantisme sonore.
- Chez les Rousseroles verderolles (Acrocephalus palustris) toujours, il n’est pas rare, lorsque les couvées sont en bonne voie, que les anciens rivaux devenus bons voisins se rassemblent en milieu de journée sur un buisson faisant la frontière de leurs territoires, pour se livrer à une activité sonore coordonnée.
Les oiseaux comme source d’inspiration?
Enfin, les compositeurs (humains !) se sont fréquemment inspirés des chants d’oiseaux. Pensons par exemple à :
- Georg Friedrich Haendel : concerto pour orgue Le coucou et le rossignol
- Joseph Haydn : symphonie n° 83 La Poule – Quatuor à cordes op. 33 n°3 L’oiseau – Quatuor à cordes op. 64 n°5 L’Alouette
- Olivier Messiaen : Le réveil des oiseaux – catalogue d’oiseaux – le merle noir
- Antonio Vivaldi : Concertos pour flûte et orchestre : Le Chardonneret – Le Rossignol
- Leo Delibes : En écoutant le premier coucou du printemps
- François Couperin : Le gazouillement – Le rossignol en amour – La linotte effarouchée – Les fauvettes plaintives – Le rossignol vainqueur
- Camille Saint-Saëns : Le Carnaval des animaux : la volière, le cygne, poules et coqs, le coucou.
Que la musique humaine s’inspire consciemment ou non des chants d’oiseaux, elle en est en tout cas plus proche qu’on ne pourrait le croire !
Le prochain article traitera de l’intelligence artistique de certains oiseaux.
Bibliographie
- Jennifer Ackerman, Le génie des oiseaux – Les extraordinaires capacités qui ont permis aux oiseaux d’être présents sur toute la planète depuis des millions d’années, Marabout, Science et Nature, 2017
- François-Bernard Mâche, Les oiseaux musiciens – Comment les animaux sont devenus intelligents, Arte Editions, Les liens qui libèrent, 2016
- https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/oiseaux-oiseaux-aussi-mefient-rumeurs-19389/
- Lars Svensson, Le Guide ornitho, Delachaux et Niestlé, Les guides du naturaliste
- https://www.oiseaux.net/
- http://musiqueclassique.forumpro.fr/t13036-morceaux-inspires-par-les-oiseaux