Auteur des texte et photos : Jérémie Van Brussel
À Nil-St-Vincent, en avril 2021, dans la « Petite Campagne », cet écrin entouré de résidences, un tapis de copeaux s’étend sur quelques mètres au cœur d’un vieux verger. Aucune scie n’a pourtant tourné là aujourd’hui, ni les jours précédents. C’est dans un silence quasiment absolu que les copeaux continuent de pleuvoir. Dans un vieux pommier voisin, à 1,80m de haut, juste dans l’angle sous la greffe, la tête du Pic vert apparaît. Il a déjà terminé de percer l’orifice d’entrée et s’emploie désormais à agrandir la loge dans le tronc creux de l’arbre. Après 24 heures de travail supplémentaire, la loge est maintenant fin prête ! Bientôt elle va pouvoir accueillir la belle et si tout se passe bien, une famille de pics.
Le pic se positionne alors juste sous la loge, accroché au tronc creux. Il lance son rire sonore pour signaler la fin des travaux. Madame peut revenir. Le rire retentit une première fois, puis une seconde… Une troisième. Pas de réponse. Madame Pic est peut-être partie se nourrir un peu plus loin, alors les appels continuent. Malheureusement, les heures passent, puis les jours, le mâle continue de lancer ses appels, mais personne ne répond.
Habituellement, les chants du pic retentissent tôt au printemps. Ils font partie de la parade et les couples se forment avant le façonnage de la loge nuptiale.
Mais que se passe-t-il ici ? Pic ne se lasse pas facilement : des heures durant, chaque jour, sûr de la qualité de son travail, il appelle, par tous les temps.
Après quelques jours, il faut se rendre à l’évidence : Madame Pic ne reviendra pas. A-t-elle eu un accident ? A-t-elle rencontré un prédateur durant les travaux ? A-t-elle jugé les lieux trop exposés aux jeux des enfants dans le jardin voisin ? On ne le saura jamais… Mais cette année, la loge restera inoccupée.
Un an plus tard, en avril 2022, dans un pommier voisin de quelques 20 mètres et comme chaque année au crépuscule, un couple de Chevêches entonne sa sérénade. Mais soudainement, quelques sons discrets retentissent depuis le pommier des Pics. Cette fois, le couple est bien là, agrippé sous la loge. Et après une inspection rapide, Madame Pic approuve le choix des lieux et s’introduit dans la loge creusée un an plus tôt.
Pendant 15 jours, la couvaison se déroulera dans un calme absolu. Dans les jardins environnants, les rires d’autres pics retentissent régulièrement. Ils sont nombreux dans la région. Dans le secret de la loge, ce sont 3 jeunes qui éclosent, mais cela, on ne le saura que quelques jours plus tard, car pour l’instant, seuls les parents peuvent pénétrer dans la cavité, nourrissant leurs jeunes à tour de rôle.

Les poussins grandissent vite et en s’approchant, on entend bientôt ce grincement caractéristique, indiquant les jeunes affamés réclamant la pitance ! Mais il faut attendre plusieurs jours avant de les voir apparaître à l’orifice d’entrée, sur le tronc. C’est en grimpant vers ce point lumineux qu’ils renforcent leurs deux paires de griffes opposées et apprennent leur métier d’oiseau grimpeur. La place privilégiée est convoitée car de là, on peut appeler les parents, les voir arriver et éventuellement recevoir une double ration ! Il arrive que quinze ou vingt minutes s’écoulent avant le retour d’un parent nourricier. Pour l’observateur, vient alors l’occasion d’observer avec précision le déroulement de l’acte que l’on peut qualifier de « gavage ». Si le parent s’absente si longtemps, c’est qu’il ne se contente pas de ramener une chenille ou une larve. Il a employé son temps à récolter plusieurs proies qu’il a ingérées. À son retour à la cavité, il s’accroche au tronc, sollicité par les cris grinçants du jeune affamé. Ces stimuli sonores participent sans doute à l’exercice suivant : la régurgitation. Car avant de s’approcher du jeune, le parent se tient à côté, répétant des mouvements de têtes et l’on peut alors voir la langue passer plusieurs fois, très rapidement. Soudain, le bec ne se ferme plus tout à fait et on peut apercevoir l’agglomérat constitué poindre au fond du bec. Le parent s’approche alors, enfonce sans ménagements son bec dans celui béant du jeune et dans un rapide mouvement de va-et-vient, achève de remonter la nourriture pour en gaver sa progéniture. Cette régurgitation peut se répéter deux ou trois fois, indiquant que lorsqu’il s’absente, l’adulte s’emploie fermement à récolter des protéines !
Le couple de pics se relaie au nourrissage et doit régulièrement « jouer des coudes » pour pénétrer dans la cavité et nourrir les jeunes restés dans le fond. On peut repérer l’alternance des adultes de loin car la femelle a une plume cassée sur l’aile droite et ça lui fait comme une antenne sur le côté. De plus près, on voit aussi qu’elle semble avoir une malformation de la pupille, à moins que ce soit la conséquence d’un traumatisme… Décidément, la vie du pic semble bien mouvementée !
Un mois après la ponte, les jeunes ont beaucoup grandi, leur plumage densément strié est complet, les mâles se distinguent déjà à la tache apparue sur les parotiques. L’impatience est perceptible et la voracité croissante ! On sent que l’envol est proche !
Dans un arbre voisin, c’est une famille des cousins épeiches, plus précoces de quelques jours, qui vient s’exercer à écorcer le bois mort.

Pour le jeune Pic vert fermement installé à l’orifice, la transformation sonore est impressionnante : les cris grinçants du jeune quémandant se transforment peu à peu en un court rire sonore encore mal assuré. La loge perd beaucoup en discrétion et il devient urgent d’en sortir avant qu’une fouine ou une belette y prête attention. Les prédateurs sont nombreux dans les parages et l’accès à cet habitat naturel apparaît bien trop aisé pour garantir la sécurité de la famille.
Par un bel après-midi ensoleillé, c’est une petite femelle qui s’extraira en premier de la cavité. Pour cet oiseau déjà grandi dont les gestes ne sont pas assurés, cette sortie n’est pas un exercice facile. Dans ce très joli moment, on croirait que l’arbre accouche du jeune pic.
S’accrocher n’est pas simple, et l’oiseau surveillé de près par son père, fait une douce chute le long du tronc, avant de regrimper et de suivre l’adulte jusqu’aux branches hautes qui lui permettront de prendre enfin son premier envol.
Le lendemain, un jeune frère suivra, puis la dernière petite sœur, un troisième jour. La cavité retrouve son calme mais dans le verger, les cris et les chants des pics continueront à retentir longtemps.
Les images de ce récit sont disponibles ici : https://www.youtube.com/watch?v=5GhbChlsa6Q