Les migrations

Auteur : Bernard Danhaive
Photo d'entête : Cigogne blanche - Bernard Danhaive
Article publié en 2013 dans le Bruant Wallon n°20

Nous attirons votre attention sur le fait que les informations contenues dans cet article datent d’il y a 7 ans. La nature a bien sûr évolué durant cette période…

Lors d’un passage aux décanteurs d’Eghezée-Longchamps à la fin mai, un rassemblement de Chevaliers culblanc a attiré mon attention. Se pourrait-il que ce soit déjà des oiseaux en migration postnuptiale ?

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Chevalier cul-blanc – Dimitri Crickillon

Et au fait, pourquoi certains oiseaux migrent-ils et en fonction de quelles règles ces grands mouvements pendulaires sont-ils régis ?

D’abord, les oiseaux sont les premiers auxquels on pense lorsqu’on parle de migration. Il faut cependant savoir que de très nombreux animaux migrent. Citons par exemple, parmi les mammifères : les ongulés, les cétacés ou les chauves-souris.  Les poissons et certains insectes migrent également, avec comme exemple le plus connu, le Monarque.

Et ensuite, peut-on parler de « nos » hirondelles, « nos » grues ou « nos » loriots, alors qu’il s’agit d’espèces tropicales qui ont progressivement trouvé des conditions favorables à la nidification sous nos latitudes ?

Ce sujet est tellement vaste qu’il est peut-être bon de l’approcher par quelques questions.

Qu’est-ce que la migration ?

La définition simple qu’on peut donner est qu’il s’agit d’un déplacement biannuel entre un site de reproduction et un site d’hivernage, ce qui implique donc un aller-retour.

A quand remonte l’apparition du phénomène migratoire chez les oiseaux ?

Les trajets parcourus nous laissent parfois bien perplexes : pourquoi le Traquet motteux qui se rencontre dans tout le Paléarctique jusqu’en Asie doit-il absolument passer l’hiver en Afrique ? Et le Pouillot fitis qui niche en Sibérie n’aurait-il pas intérêt à choisir l’Asie du sud-est pour passer l’hiver ? Ces choix inscrits dans leurs gènes sont en réalité dictés par les anciennes voies d’immigration de leurs lointains ancêtres.

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Traquet motteux – Philippe Selke

Les connaissances actuelles ne permettent pas d’apporter une réponse claire concernant l’origine des migrations, mais l’hypothèse la plus probable est liée à la climatologie. Lors des périodes de froid et d’avancée des glaciers au cours des âges, les oiseaux poussés par la faim se seraient déplacés progressivement plus au sud et auraient ainsi modifié leur aire de répartition.

Le changement d’ère ou d’âge glaciaire aurait par la suite entraîné une recolonisation des territoires perdus.

Les schémas de migration actuels ont probablement émergé lors de la dernière période postglaciaire, il y a environ 10 000 ans.

Mais au fond, pourquoi migrer ?

La migration est d’abord une adaptation à un manque de ressources alimentaires, dans les régions où une saison hostile survient. Elle entraîne alors la disparition des proies ou des végétaux dont les oiseaux dépendent pour survivre. Sous nos contrées, la disparition des arthropodes et en particulier des insectes contraints ainsi toutes les espèces strictement insectivores, comme les hirondelles, à migrer. Mais de la même façon, des espèces nichant dans la savane africaine migrent plus au sud quand arrive la période de sécheresse, tandis que les albatros migrent également au travers des océans dans le sillage du plancton.

Et pourquoi les oiseaux remontent-ils au printemps ?

Les habitats boréaux, en été, présentent un avantage particulier : un ensoleillement presque permanent, qui permet de capturer des insectes à n’importe quelle heure et une profusion des ressources. Dans nos régions, comme dans toutes celles présentant une alternance de saisons, l’émergence des insectes au printemps engendre ainsi une densité et une diversité de ressources alimentaires exceptionnelles. Même si ces territoires sont inhospitaliers en hiver, ils constituent donc un habitat estival privilégié pour assurer la reproduction dans les meilleures conditions.

Comment s’orientent-ils ?

Les oiseaux utilisent des sources multiples d’information pour s’orienter, comme le soleil pour les migrateurs diurnes, ou les étoiles pour ceux qui voyagent de nuit. Il faut donc qu’au moins une partie du ciel soit visible. Or beaucoup d’oiseaux sont aussi capables de s’orienter quand le ciel est couvert ou par temps de brouillard. Dans ce cas, ils utilisent le champ magnétique terrestre.

Deux grandes hypothèses existent :

  • Pour certains chercheurs, le compas magnétique des oiseaux pourrait être fondé sur des capteurs situés dans le bec et contenant de la magnétite. Ils sont sensibles à de très petites variations de l’intensité du champ magnétique.
  • Pour d’autres, leur compas pourrait être constitué d’un système sensible à la lumière et aux longueurs d’ondes. Ce récepteur serait situé dans la rétine et serait basé sur un ou plusieurs photo-pigments, peut-être des cryptochromes (protéines sensibles à la lumière qui pourraient aussi jouer un rôle dans l’horloge circadienne).

L’odorat joue également un rôle : des études sur le pigeon voyageur, montrent que les odeurs transportées par le vent pourraient jouer le rôle de repères “olfactifs”, l’oiseau se créant alors de véritables “cartes odorantes”.

Quel est l’impact du réchauffement climatique sur les oiseaux migrateurs ?

La plupart des spécialistes considèrent désormais que la concentration accrue de gaz à effet de serre dans l’atmosphère du fait des activités humaines est responsable d’une élévation rapide de la température moyenne de la Terre.

Même si les causes de régression ou d’accroissement d’une espèce d’oiseau dépendent de plusieurs facteurs, comme la dynamique propre des populations concernées, la qualité des milieux, les ressources disponibles ou les conditions d’hivernage, le changement climatique actuel fait déjà sentir ses effets sur les oiseaux migrateurs, et plus particulièrement en ce qui concerne les migrateurs au long cours.

  • Changement de comportement

Certains migrateurs reviennent par exemple de plus en plus tôt et repartent parfois plus tard, voire changent complètement leurs habitudes : ils écourtent leur migration en faisant l’impasse sur la traversée du Sahara et hivernent sur le pourtour méditerranéen ou le long des côtes atlantiques.

Certains migrateurs transsahariens, comme la Cigogne blanche, le Milan noir, l’Echasse blanche, la Guifette moustac et même parfois les hirondelles, commencent à hiverner en petit nombre en France.

Echasse blanche-Thomas Robert
Échasse blanche – Thomas Robert

En Belgique, plusieurs espèces deviennent des hivernants de plus en plus courants. Citons par exemple les Tariers pâtres, les Rougequeues noirs, les Pouillots véloces ou les Fauvettes à tête noire.

Une question que l’on peut alors se poser est la suivante : comment ces hivernants vont-ils réagir et se comporter à la suite d’une série d’hivers rigoureux ?

  • Synchronisation avec la disponibilité de la nourriture

La synchronisation entre la disponibilité en nourriture et le retour de la migration de printemps est bien entendu essentielle pour le succès de la reproduction. Revenir plus tôt, c’est avoir la possibilité d’occuper les meilleurs endroits pour se reproduire et donc d’augmenter ses chances de mener à bien une nichée (voire d’en faire une seconde ou une troisième). C’est d’ailleurs en ce sens que les migrateurs au long cours sont probablement désavantagés par rapport aux espèces faiblement migratrices ou sédentaires.

Une étude a ainsi mis en évidence que les Gobemouches noirs en Europe risquent de connaître un déclin. En effet, le pic d’émergence des chenilles dont ils nourrissent leurs jeunes se produit à présent plus tôt qu’auparavant. Cependant, le moment de leur retour d’Afrique équatoriale ne dépend que de la photopériode et de leur horloge interne, et non des conditions climatiques d’Europe de l’Ouest. On n’a donc pas noté de retour plus précoce pour cette espèce. La « fenêtre » optimale de reproduction s’est donc réduite et une partie de la population niche trop tard pour exploiter convenablement le pic d’abondance des insectes. Cette dynamique de reproduction peut conduire à terme à un déclin partiel de la population.

  • Impact sur les chances de survie des espèces

Il semble en fait que les espèces sédentaires tireront avantage du réchauffement climatique au détriment des migrateurs. Ils bénéficieront en effet d’hivers plus cléments, et pourront profiter des sources de nourriture au moment où elles seront maximales, contrairement aux migrateurs.

C’est ainsi que les espèces insectivores en général ainsi que toutes celles qui ont une alimentation spécifique, comme les Pies grièches, seront beaucoup plus menacées que d’autres. Mais si certaines espèces ne semblent pas avoir ajusté leur date de retour, ce n’est pas le cas pour d’autres, qui arrivent depuis quelques années quelques jours plus tôt. Ainsi suivant une étude réalisée en Franche-Comté sur une période de 23 ans, le Martinet noir revient-il d’Afrique du Sud une vingtaine de jours plus tôt et le Coucou gris quinze jours plus tôt.

  • Adaptation au changement

Mais comment ces espèces font-elles pour tenir compte des modifications des températures de printemps, alors qu’elles sont encore dans leurs zones d’hivernage ?

Il existe plusieurs hypothèses plausibles, comme l’expérience acquise des années précédentes, des changements climatiques sur les sites d’hivernage, des conditions de trajet plus faciles et donc un voyage plus rapide, …

Certaines espèces vont donc modifier leur comportement migratoire, ce qui peut se produire en quelques générations. Déjà, plusieurs populations de migrateurs sur des distances moyennes, comme l’Alouette des champs, le Pouillot véloce ou la Fauvette à tête noire ont cessé de migrer durant les 20 dernières années.

De plus en plus de Grues cendrées hivernent désormais en Europe centrale au lieu de partir dans la péninsule ibérique.

Grue cendrée-Vincent Rasson
Grue cendrée – Vincent Rasson

Certaines recherches montrent aussi que des migrateurs ne parviennent plus à migrer, ou bien que leur instinct de migration est perturbé. Un cas intéressant est celui de centaines d’Aigles bottés vus en migration durant les mois d’octobre 2004 et 2005 dans le sud de la France, alors qu’à cette période ils étaient déjà censés avoir atteint l’Afrique.

  • Phénomène nouveau ?

Ce changement climatique récent est différent de ceux que la Terre a déjà connus car il est plus rapide, et il a peu de chance d’être réversible naturellement. Il affecte toute la diversité biologique, de l’individu à l’écosystème.

Au niveau d’une espèce, il peut affecter sa distribution, son abondance, son comportement, sa phénologie (cycles migratoires), sa morphologie (taille et forme) et sa génétique en jouant sur la sélection…

Il peut agir directement et indirectement, en augmentant la compétition, la prédation, le parasitage, en favorisant les maladies et les perturbations (feux, orages). II aggrave d’autres phénomènes déjà perturbants comme les invasions d’espèces exotiques, l’urbanisation et les défrichements agricoles.

Conclusion

Pour répondre à l’interrogation initiale, la migration printanière des Chevaliers culblanc est assez précoce (passage en mars-avril dans nos régions) et la nidification (dans le nord-est de l’Europe) commence tôt. Dès l’éclosion, la femelle part en migration en laissant au seul mâle le soin d’élever les petits. A partir de début juin, des oiseaux en migration postnuptiale sont déjà visibles dans nos régions. Ils hivernent dans le sud de l’Angleterre, en France, le long des côtes de la Méditerranée et jusqu’en Afrique Centrale.

De nombreux autres aspects de la migration pourront être abordés ultérieurement, comme les différents types de migration (au long cours ou sur de courtes distances, partielles, rampantes, mouvements invasifs, rétromigration, …), le choix de l’altitude et de l’heure (de jour ou de nuit), quand muer, etc.

Sources

  • Laurent Couzi et Laurent Lachaud – La vie des oiseaux Découvrir, connaître, comprendre – Editions Sud-Ouest 2007
  • Pierre Lambelin – Formation en éthologie de Natagora – Les migrations
  • Jacques-André Leclercq – Formation en ornithologie de Natagora / N3