Le saviez-vous : La Grive mauvis

Auteur du texte et de la photo: Thierry Maniquet
Article publié en 2014 dans le Bruant Wallon n°25

Nous attirons votre attention sur le fait que les informations contenues dans cet article ont 7 ans. La nature a bien sûr évolué durant cette période…

Tandis que j’observe quelques Grives mauvis occupées à chercher dans les aubépines de délicieuses cenelles, je songe à celles qui, il y a un mois déjà, sont sans doute descendues se gaver de raisins dans les vignes d’Alsace ou d’ailleurs, au point selon la croyance de s’enivrer et d’être incapables de s’envoler. De là serait née l’expression « saoul comme une grive ». Cette expression est fort ancienne puisqu’on en trouve une trace indirecte dans une des lettres de Mme de Sévigné : « Il y avait l’autre jour Mme de Louvois qui confondit ce que l’on dit d’une grive. Elle dit d’une autre que celle-ci était « sourde » comme une grive ! Ce qui fit rire ».

En réalité, personne n’a jamais vu de grive saoule, si ce n’est Toussenel qui, au XVIIIème siècle, affirme qu’ «il l’a mille fois rencontrée pompette, ivre morte jamais ! ». En réalité, dit-on aussi, si après avoir tant mangé, elle a l’air étourdie, c’est sans doute que ses organes alourdis ne lui permettent de prendre son envol, au point de la livrer hélas au plomb, voire à la main du chasseur.

Il n’empêche, il se pourrait que le terme « grivois » trouve son origine dans cette habitude des grives de rechercher les fruits de la vigne.

Certains même y voient l’origine du qualificatif « mauvis ». Alors que P. Cabard et B. Chauvet évoquent, dans leur livre « L’Etymologie des noms d’oiseaux », l’hypothèse tirée du Robert évoquant le terme « mauviz » utilisé au 12ème siècle et dérivé de « malavis » pour désigner un « mauvais oiseau », d’autres sources évoquent les termes latins « malum vitis », à savoir « mauvaise vigne ».

Si les raisins sont ainsi souvent associés aux grives, que dire alors des baies de Gui, dont on sait que les grives, et particulièrement la Grive draine, en assurent la dispersion en en rejetant la graine dans leurs excréments. Or, c’est ce même Gui dont les tendeurs tiraient la glu avec laquelle ils capturaient les grives. Ce qui fit dire à certains, dont on admirera le sens poétique « qu’il faut être sot pour chier aujourd’hui ce qui demain conduira à votre perte »[1].

Tant qu’on en est à parler d’excréments, il faut également savoir que les grivières de Rome (cages minuscules dans lesquels ces oiseaux étaient engraissés avec une patée à base de millet et de baies) fournissaient un guano, la griveline, considéré comme le meilleur des fumiers pour engraisser les terres.

Or, il était malheureusement de coutume chez les riches Romains d’avoir pareille volière, tant les grives étaient recherchées comme mets délicat (rappelons l’usage jusqu’aujourd’hui de l’expression : « faute de grives, on mange des merles »). Certains en faisaient un véritable commerce. On cite ainsi une dame vivant à huit lieues de Rome qui en avait tant qu’elle en avait vendu 5000, trois deniers la pièce, un jour de fêtes publiques et qu’elle en vendait jusqu’à 60.000 par an, lui rapportant plus de revenus qu’une terre de 200 arpents.

Par ailleurs, si nous nous réjouissons aujourd’hui d’entendre le chant de la Grive musicienne ou de la Grive draine, très tôt en saison, les paysans d’autrefois l’accusaient d’appeler le mauvais temps, en annonçant trop tôt le printemps.

Il faut aller en Ecosse pour trouver un sentiment davantage positif, la grive étant considérée comme le plus harmonieux des oiseaux. C’est Walter Scott qui, dans son ouvrage « L’abbé », prête ainsi ces paroles à un partisan de Marie Stuart : « « Je crois entendre la voix de cette reine infortunée; je crois entendre sa voix aussi douce, aussi harmonieuse que le chant de la grive. »

Alors quand vous réentendrez le chant de la grive, au début du printemps prochain, ne vous tracassez pas si la pluie survient, mais réjouissez-vous plutôt qu’elle ait échappé aux chasseurs et tendeurs qui, malheureusement aujourd’hui encore, perpétuent des traditions d’un autre âge.

Sources

[1] Voir aussi le Bruant wallon, n°1, Le saviez-vous ?