Texte : Thierry Maniquet Photo d'entête : Vincent Rasson Article publié en 2015 dans le Bruant Wallon n°29
Nous attirons votre attention sur le fait que les informations contenues dans cet article ont 6 ans. La nature a bien sûr évolué durant cette période…
Commençons par une devinette. Savez-vous qui est l’oiseau de Palamède ? Mais qui est Palamède, me répondrez-vous tout de go ? Palamède est un des princes grecs qui ont participé à la guerre de Troie. Il aurait inventé pas moins de 11 lettres de l’alphabet grec.
Fort bien, me direz-vous, nous voilà bien avancés. Mais quel rapport avec les oiseaux ?
Allez, je vous aide. Que vous inspirent les lettres V et Y ?
N’y voyez-vous pas la forme des longs rubans que forment les vols des Grues cendrées au moment de leur migration ?
C’est en effet, paraît-il, en voyant ces belles formations que notre prince aurait imaginé ces lettres de l’alphabet.
Alors qu’elles poursuivent leur vol au-dessus de la Turquie, ne vous étonnez pas si vous ne les entendez plus crier lorsqu’elles survolent le Mont Taurus. C’est normal : elles se sont mis un caillou dans le bec pour s’obliger à rester muettes et ainsi échapper à l’attention des aigles.
Saviez-vous par ailleurs que lorsqu’elles survolent la Haute-Egypte, c’est pour s’en aller combattre les … pygmées ?
Mais pourquoi ? La légende raconte que Junon, l’épouse de Jupiter, était extrêmement jalouse et qu’elle transformait les conquêtes de son époux en oiseaux. C’est ainsi que Gérana, la reine et mère des pygmées aurait été transformée en grue et aurait ensuite déclaré la guerre à son propre peuple. D’où le nom de Géranium en raison de la similitude entre le bec de l’oiseau et le fruit de cette fleur.
Une explication plus réaliste pourrait être que les pygmées étaient en réalité des singes avec lesquels les grues entraient en compétition sur les lieux de récoltes dont tous deux se nourrissaient.
Quoi qu’il en soit, on admirera la délicatesse de Rabelais lorsqu’il indique que les pygmées se défendaient courageusement car ils sont volontiers colériques, la raison physiologique étant qu’ils ont le cœur près de la merde !
Un oiseau au vol si puissant et à la si grande longévité ne pouvait que donner lieu à de nombreuses croyances quant à ses propriétés médicinales.
Si Atalante et autres coureurs de l’Antiquité étaient si performants, ce n’est point en raison de la consommation d’un quelconque produit dopant; c’est tout simplement parce qu’ils prenaient la précaution de porter sur eux un os de grue, les jarrets des grues étant réputés infatigables.
En Orient, les grues sont réputées vivre 1000 ans et posséder une technique respiratoire de longue vie. D’où la tradition au Japon d’offrir aux vieillards et convalescents des gravures, peintures, pliages, … à l’effigie des grues. Les Chinois, quant à eux, consommaient dans l’Antiquité des bouillons et des moelles de grues pour atteindre l’immortalité.
On mangeait donc de la grue ? Malheureusement oui, et c’était encore le cas au XIIesiècle en Angleterre où l’on relate que cet oiseau était régulièrement servi au repas du duc de Norfolk ; ainsi, à une époque de l’année où il ne pouvait s’agir que de nicheurs, on rapporte que 204 pièces avaient été servies en l’honneur d’un évêque.
C’est rendre bien peu d’honneur à ce magnifique oiseau dont le nom est quand même à l’origine de nos assemblées diplomatiques, puisque le terme « congrès » trouve son origine dans le mot latin « congruere », c’est-à-dire se réunir à la façon des grues.
On a parfois bien du mal à le croire, tant le spectacle pathétique de nos assemblées est bien loin des splendides rassemblements que les Grues cendrées nous offrent, par exemple au lac du Der.
Sources
- A-J et B. BERTRAND, La route des Grues a croisé celle des hommes, La Route des Grues, 1993 ;
- http://www.oiseaux.net/oiseaux/grue.cendree.html