Auteur : Bernard Danhaive Photo d'entête : Grues cendrées - Vincent Rasson Article publié en 2017 dans le Bruant Wallon n°36
Nous attirons votre attention sur le fait que les informations contenues dans cet article datent d’il y a 3 ans. La nature a bien sûr évolué durant cette période…
Introduction
Voilà un sujet bien étrange pour figurer dans le Bruant Wallon ! Quelle relation peut-on établir entre les neiges éternelles de l’Himalaya et nos vertes collines brabançonnes, qui plafonnent sous les deux cents mètres d’altitude ?
Nous allons essayer de comprendre les raisons qui poussent les oiseaux à migrer si haut. Nous verrons ensuite comment leurs organismes ont pu s’adapter à de telles conditions « inhumaines ». Et nous verrons quels sont les champions dans ce domaine.
Enfin la conclusion éclairera ceux qui n’ont pas trouvé la réponse à la question initiale.
Quels sont les facteurs qui déterminent l’altitude de vol ?
Pour tous les migrateurs, il y en a quatre principaux :
- Le vent, dont la force et la direction varient en fonction de l’altitude.
- La température, liée à l’altitude : plus l’oiseau volera haut, plus les températures basses réduiront les risques d’hyperthermie provoquée par l’effort physique.
- La déshydratation : ce facteur varie de façon antagoniste en fonction de l’altitude : elle diminue lorsque la température baisse ; en revanche, elle augmente lorsque la pression atmosphérique est faible ; un compromis est donc à rechercher.
- Et enfin l’effort pour atteindre une haute altitude et pour s’y maintenir, puisque « l’appui » sur l’air raréfié est plus faible.
A ces facteurs, s’ajoutent d’autres raisons de s’élever de plus en plus haut pour se déplacer ou migrer :
- La première concerne l’orientation : voler haut permet de mieux se repérer d’après des paysages connus, mais également de passer au-dessus des nuages ou du brouillard. Cela permet aussi d’éviter les obstacles naturels, comme les chaînes de montagne. On constate par ailleurs que les altitudes en migration sont plus élevées lorsqu’il s’agit de survoler de grandes étendues uniformes, comme les océans ou les déserts. La raison en est la plus grande difficulté à s’y orienter par manque de repères.
- Ensuite le moment de la journée : on constate que les migrateurs nocturnes migrent plus haut que les diurnes. Par exemple, pour les migrateurs au vol battu, l’altitude moyenne est de 400 m la journée pour 700 à 900 m la nuit.
- Les oiseaux au vol plané migrent plus haut que les oiseaux au vol battu. En effet, la technique des grands planeurs consistant à utiliser des ascendances thermiques permet de s’élever plus haut.
Adaptations physiologiques au vol à haute altitude
Voler en haute altitude représente une dépense d’énergie considérable dans un air où l’oxygène est raréfié. C’est ainsi que les oiseaux qui volent à une altitude de 6000 m disposent de moitié moins d’oxygène qu’au niveau de la mer.
Comment les oiseaux pratiquant ce vol peuvent-ils alors maintenir un haut taux de métabolisme ?
Un alpiniste se déplaçant à 6000 m a du mal à parler et à effectuer des mouvements rapides ; par contre des oies volant à la même altitude sont encore capables de communiquer entre elles par des cris de contact.
L’efficacité du transport de l’oxygène dans l’organisme des oiseaux est une caractéristique qui les différencie des autres vertébrés.
Le coeur est très performant et peut battre très vite (1000 pulsations/min), et le système respiratoire (poumons et sacs aériens) est adapté aux efforts à fournir pour voler[1].
Cela permet de meilleurs échanges gazeux dans les poumons, la continuité de la fourniture d’oxygène au cerveau durant une hypoxie[2], la capacité renforcée de diffuser l’oxygène dans les tissus périphériques et une haute capacité aérobie. Ces caractéristiques ne sont pas liées à une adaptation à la haute altitude puisqu’elles sont présentes chez tous les oiseaux, mais elles sont essentielles pour la tolérance à l’hypoxie.
Les oiseaux volant à haute altitude ont renforcé ces paramètres : de plus grands poumons pour une respiration plus efficace, une hémoglobine avec une plus grande affinité avec l’oxygène, une capacité de diffusion complémentaire de l’oxygène dans les tissus périphériques et des modifications au cœur et aux muscles.
Les ailes sont également plus larges pour tenir compte d’un air moins dense.
Les champions toutes catégories

Les altitudes mentionnées dans le tableau ci-dessous ont été constatées, soit par suite d’une collision avec un avion, soit par des mesures radar, soit encore en retrouvant des preuves en haute montagne. On a retrouvé par exemple à plus de 5000 m d’altitude au mont Everest des squelettes de Canards pilets et de Barges à queue noire.

Cas particulier de l’Oie à tête barrée
La réputation des Oies à tête barrée de franchir les sommets du massif himalayen a stimulé les scientifiques qui ont essayé de savoir pourquoi ces oiseaux volaient à ces altitudes extrêmes alors qu’il existe des cols à de plus basses altitudes, qui plus est, utilisés par d’autres espèces migratrices.

L’étude publiée en 2012 « The paradox of extreme highaltitude migration in bar-headed gees Anser Indicus » conclut que la stratégie adoptée par la majorité des Oies à tête barrée traversant le plateau oriental tibétain est de réduire les coûts énergétiques en volant au-dessus des montagnes les plus basses et pas plus haut que le terrain survolé ne le réclame ; elles ne feraient pas usage régulièrement des vents de dos. Les cas (rares) de vol à haute altitude se sont produits là où n’existait pas de route plus basse et probablement associés à des vents favorables. Un petit nombre d’oies a également traversé plus à l’ouest où il y a une plus grande concentration de hauts sommets. On peut donc en conclure que les vols en haute altitude représentent des événements plutôt inhabituels pour elles. Cela étant, la majorité des Oies à tête barrée vole en migration à des altitudes supérieures à 6000 m, ce qui reste quand même extraordinaire…

Conclusion
La justification de la présence de cet article est toute simple : nous pouvons, lors de nos sorties locales ou pas trop éloignées, rencontrer certains de ces champions hors pair.
Et la prochaine fois que nous verrons une Oie à tête barrée broutant paisiblement dans une pâture à Bierges, pensons à l’extraordinaire performance que ses congénères sont capables d’accomplir en Asie !
Mais au fait, les oiseaux sont-ils les seuls à migrer en altitude ?
Savez-vous que des myriades d’insectes fréquentent également ces hautes altitudes ?
Une étude anglaise a suivi la migration d’insectes au-dessus de la Manche et de la mer du Nord. La quantité (astronomique) d’insectes a été évaluée à 3,5 billions (mille milliards) ! Et tous ces insectes volaient à une altitude supérieure à 150 m !
[1] « Le système respiratoire des oiseaux est adapté à la demande énergétique très élevée des muscles de vol et à la raréfaction de l’air en altitude. Les poumons de l’oiseau ne sont pas grands, mais ils sont reliés au réseau des sacs aériens répartis dans tout le corps. Au total, le système respiratoire occupe 20% du corps de l’oiseau, pour 5% chez l’homme. Chez l’oiseau, l’air circule à travers le système respiratoire dans un seul sens, avec une entrée et une sortie, et la surface d’échange avec le système circulatoire est optimisée. Chez les mammifères, l’air fait des allers-retours dans les poumons, ce qui est bien moins efficace. De plus, les sacs aériens contribuent au refroidissement des muscles. » in J.P. LIEGEOIS – Le vol des oiseaux
[2] L’hypoxie désigne une diminution de la quantité d’oxygène distribuée par le sang aux tissus.
Bibliographie
- J.P.LIEGEOIS – Le vol des oiseaux – Formation ornitho Natagora N1
- http://sirorfeo.tripod.com/idtraining/alt.htm
- h t t p s : / / s i t e s . g o o g l e . c o m / s i t e / lamigrationdesoiseauxtpe/ii-l-adaptation-desoiseaux-a-la-migration
- http://jeb.biologists.org/content/214/15/2455
- http://www.nord-nature.org/fiches/fiche_s4.htm
- h t t p s : / /www.mi g r a c t i o n . n e t / i n d e x . p h p ?m_id=22006&item=6
- https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_birds_by_flight_heights
- h t t p s : / /www. n c b i . n lm. n i h . g o v / pmc / a r t i c l e s /PMC3574432/ : The paradox of extreme highaltitudemigration in bar-headed geese Anserindicus
- http://www.latimes.com/science/sciencenow/lasci-sn-insect-biomass-20161222-story.html