Mystères dans les airs

Auteur : Thierry Maniquet - Photo d'entête : Gabriel Rasson

Le printemps bien installé, quel plaisir d’entendre les cris stridents des Martinets noirs, filant à toute vitesse entre les bâtiments.

Au sein de notre avifaune, cette espèce présente la singularité de passer sa vie dans les airs. Les martinets ne se posent en effet que pour pondre et élever leurs jeunes. L’accouplement peut avoir lieu en vol, même s’il a généralement lieu dans le nid.

Ce mode de vie a toujours fasciné les humains. On s’est ainsi longtemps interrogé sur la manière dont ces oiseaux dormaient. Certes, les oiseaux nicheurs peuvent occuper leurs nids. Mais au sein de la population de martinets qui nous reviennent au printemps, les immatures de l’année précédente et certains adultes n’ont pas de nid et doivent dès lors trouver une alternative.

Après des recherches menées en avion et des contrôles radar, il a été prouvé que les oiseaux s’élevaient la nuit avec les nappes d’air chaud jusqu’à 1500 à 2000 mètres d’altitude pour n’en redescendre qu’au petit matin.

Et pour se nettoyer alors ?

 Parmi les contraintes auxquelles nos oiseaux sont soumis, il y a l’impérieuse nécessité d’entretenir leur plumage, à la fois pour lui conserver ses qualités (enlever les poussières, réarranger les plumes) et pour le débarrasser des parasites (notamment dans le cas du martinet, un diptère, la Cratérine du martinet, qui lui suce le sang).

A nouveau, pour les oiseaux nicheurs, une partie de ce nettoyage peut se faire dans le nid (bien qu’il n’y ait guère de place et que cela ne doit pas toujours être aisé) ; mais pour les oiseaux non nicheurs, une certaine dextérité en vol est nécessaire.

Un coin du voile est levé

 Afin d’étudier la manière dont les martinets pouvaient entretenir leur plumage en vol, un passionné, Jean-François Cornuet a consacré durant les années 2017 et 2018, 65 jours à filmer les martinets en vol, en réalisant des prises de vue au ralenti (jusqu’à 6 fois) permettant de décrypter les comportements des oiseaux.

Pas moins de 1400 vidéos ont ainsi été réalisées, dont 11% ont trait à des comportements de toilettage.

Martinet noir - Apus apus 2010-04-22 Genappe-Pierre Melon
Martinet noir – Pierre Melon

Il en résulte une étude passionnante que je vous recommande, dont quelques éléments (voir page 45 de l’étude) sont résumés ci-après.

Pour la première fois avec autant de détails, cette étude permet en effet de documenter les défis auxquels les martinets sont confrontés et la manière dont ils parviennent à y faire face :

  • nettoyer toutes les parties de son corps : mobilité de la tête, souplesse, capacité d’extension du cou, cambrure du dos, contorsions, frottements (notamment des ailes l’une sur l’autre ou de l’aile sur le dos ou la queue) sont autant d’éléments mis en jeu ;
  • limiter les pertes d’altitude. A cette fin, le martinet développe trois stratégies complémentaires :
    • prendre de l’altitude avant le début du toilettage, soit par un vol battu ascensionnel, soit en profitant des ascendances thermiques ;
    • réduire la perte d’altitude pendant le nettoyage en augmentant la portance : l’étude a ainsi démontré que le nettoyage avec le bec et les pattes se faisait toujours au cours d’un vol plané où les ailes et la queue sont largement étalées ;
    • réduire la durée du toilettage : les périodes de toilettage sont généralement d’une durée égale ou inférieure à …. une seconde. On comprend dans ce cas tout l’intérêt d’avoir filmé ces comportements au ralenti, car ils échappent généralement à la simple observation visuelle ;
  • conserver en permanence une bonne perception de son environnement grâce à des mouvements coordonnés des ailes, des pattes et de la queue pour garder une inclinaison du plan frontal égale ou proche de 0° par rapport à l’horizon.

Parmi les très nombreuses vidéos ponctuant l’étude, je vous invite notamment à découvrir celle qui résume le répertoire comportemental de cette espèce fascinante.

Au terme de son étude, J-F Cornuet annonce un prochain article qui sera consacré à l’analyse de la capture des proies en vol, ainsi que de nouvelles données sur certains types de vol : vol en dièdre, inversé, en duos, ….

On l’attend avec impatience.

En attendant, profitez de la présence de nos martinets pour les observer avec encore davantage d’intérêt.

 

Sources :

  • CORNUET J.F. 2018, Les apports de la vidéo au ralenti pour l’étude des comportements en vol du Martinet noir (Apus apus) en période de reproduction. Partie 1 Le toilettage, Plumes de Naturalistes, 3, 1-54.
  • GARIBOLDI A et AMBROGIO,A, 2018, Le comportement des oiseaux d’Europe, Les Editions de la Salamandre, Neuchâtel.
  • GEROUDET P., 1980, Les passereaux I, : du coucou aux corvidés, 3ème édition, Delachaux et Niestlé, Neuchâtel – Paris.