Auteur : Claire Huyghebaert Photo d'entête : Plaine de Lathuy - Philippe Selke
Vous êtes-vous déjà promené dans les champs, en Hesbaye par exemple, par une belle matinée de printemps ou une soirée d’été et y avez-vous été frappé par le silence ? Pas un bruit, excepté les engins agricoles au travail. Pas de chant d’alouette montant dans le ciel, pas de ritournelle du Bruant jaune ou du Bruant proyer, pas de chant de la Linotte mélodieuse, pas de bavardage du Moineau friquet dans les rares buissons. Si vous vous attardez, vous finirez peut-être par voir ou entendre l’un ou l’autre oiseau. Mais où sont-ils tous passés ?
Regardez alors autour de vous. Que voyez-vous ? Des grandes zones de culture à perte de vue, toutes plates. Plus de talus, plus de haies, peu de buissons, les bords des routes et chemins rasés. Que s’est-il passé ?
Au siècle dernier, l’agriculture devait produire plus et, au nom du rendement, l’Europe a aidé financièrement à faire de nos campagnes des déserts. Heureusement, les mentalités évoluent et des aides financières sont accordées depuis les années 90 pour des actions allant dans le sens de l’amélioration du maillage écologique et du soutien de la biodiversité.
Dans cet article, je vous invite à faire un constat de l’état de l’avifaune des cultures en Wallonie, et plus particulièrement en Brabant wallon quand c’est possible, et à voir quelles peuvent être les solutions. En fin d’article, je parlerai brièvement d’un certain nombre d’actions en cours, notamment en Brabant wallon.
Le constat
En Europe, les effectifs des oiseaux des cultures ont chuté de 55% en 35 ans, de 40% en 20 ans.
Le graphique ci-dessus montre l’évolution du « Common farmland bird indicator » en Europe. Cet indicateur permet de suivre l’état de la population d’oiseaux des milieux agricoles. Il reprend 15 espèces : Alouette des champs, Pipit farlouse, Linotte mélodieuse, Corbeau freux, Bruant jaune, Faucon crécerelle, Hirondelle rustique, Bruant proyer, Bergeronnette printanière, Moineau friquet, Perdrix grise, Tarier pâtre, Tourterelle des bois, Étourneau sansonnet et Fauvette grisette.
Pour les mêmes espèces, le constat est aussi alarmant en Wallonie :
Encore plus alarmant pour les oiseaux des grandes cultures :
Tendances pour certaines espèces
Les informations chiffrées wallonnes et les graphiques proviennent de l’étude d’AVES concernant l’évolution des oiseaux nicheurs, étude basée sur le programme de suivi des oiseaux communs en Wallonie (SOCWAL).
Pour toutes les espèces, le déclin moyen (% par an) est calculé pour la période de 1990 à 2017.
Le Bruant proyer
-15,45 % par an (marge d’erreur ± 1,3 %)
Le déclin est le plus marqué entre 1990 et 2004 où le Bruant proyer a perdu 90% de sa population. Sans actions efficaces, l’espèce risque de disparaître d’ici 10 ans.
Autres espèces nichant au sol
Pour le Pipit farlouse et le Vanneau huppé, souvent présents sur un site sans pour autant s’y reproduire, seules les données concernant des oiseaux aux comportements territoriaux ont été utilisées.
Une inconnue : le statut de la Caille des blés car son cycle reproducteur ne se déroule pas entièrement chez nous.
Espèces ne nichant pas au sol
Deux exceptions
Pour la Wallonie, seuls le Tarier pâtre et la Fauvette grisette échappent à ce déclin généralisé des espèces des milieux agricoles.
Comparaison entre les écorégions
Pour certaines espèces, on peut constater une différence assez importante entre les écorégions. Celles-ci sont au nombre de cinq pour la Wallonie : l’Ardenne, le Condroz, la Fagne-Famenne, la Lorraine et le Nord du sillon Sambre et Meuse dont le Brabant fait partie.
Pour le Vanneau huppé, le déclin est moins accentué au Nord du sillon Sambre et Meuse que dans les autres écorégions.
Le Pipit farlouse, lui, se porte assez mal dans notre écorégion par rapport aux autres. Par contre, il est en légère croissance en Ardenne. Pour l’Alouette des champs, le Bruant jaune et la Bergeronnette printanière, notre écorégion est dans la moyenne. Dans le Condroz, cette dernière est par contre en augmentation constante depuis 1990.
Concernant les espèces ne nichant pas au sol, pointons la Tourterelle des bois dont le déclin général, affirmé depuis 1990, est le plus catastrophique chez nous. Même constat pour l’Hirondelle rustique et la Linotte mélodieuse. Pour le Moineau friquet, seul le Condroz est en plus mauvaise posture que nous.
Les explications du déclin ?
- L’intensification des pratiques agricoles :
- Diminution des ressources alimentaires hivernales
- Diminution des ressources en saison de reproduction
- Précocité des fauches ou récoltes
- Nouvelles cultures : par exemple, passage aux céréales d’hiver.
- Augmentation de la taille des parcelles.
- Diminution du nombre de fermes familiales
- Diminution du maillage écologique : destruction de haies, chemins creux et autres petits éléments naturels.
- Manque de couvert -> prédation plus facile.
- Disparition des prairies ou conversion de prairies permanentes en prairies temporaires nettement moins riches.
- Enrichissement en azote des écosystèmes par les engrais.
- Perturbation des chaînes alimentaires des espèces par l’usage de pesticides et produits vétérinaires.
- Pour les espèces migratrices au long cours, la Tourterelle des bois notamment, les aléas de la migration (chasse, perturbations météorologiques, etc.) et les conditions d’hivernage.
Quelles solutions ?
Restaurer un maillage écologique approprié, en quantité et en qualité, permettant d’assurer l’alimentation toute l’année et la reproduction des espèces.
Actions en faveur de la biodiversité
- Entretenir ou créer des petits éléments naturels tels que haies, mares, bosquets, arbres isolés, chemins creux, talus, arbres têtards, perchoirs.
- Gérer les abords de ces petits éléments naturels.
Méthodes agro-environnementales et climatiques (MAEC)
Principes de base :
- Aide financière cofinancée par l’Union européenne et la Wallonie.
- Engagement à mettre en place des pratiques (ou « méthodes ») favorables à la protection de l’environnement (préservation de la biodiversité, de l’eau, du sol, du climat), à la conservation du patrimoine (animal ou végétal) et au maintien des paysages.
- Démarche volontaire et engagement pour 5 ans (année civile)
- Accessible à tous les agriculteurs dont le siège d’exploitation est situé en Belgique.
- Les MAEC comprennent 6 « méthodes de base » et leurs variantes, applicables sans condition particulière, et 5 « méthodes ciblées » et leurs variantes, soumises à l’avis d’un conseiller de Natagriwal.
Ces 11 méthodes sont réparties en 5 axes :
Exemples d’actions
Des actions sont mises en place à différents niveaux, Région ou Province, Natagora central ou Natagora Brabant wallon, ou encore au niveau de certains agriculteurs.
Actions d’inventaire ou « Mieux connaître pour mieux protéger »
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Proyer & Co (PACO)
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Projet né en 2010 à l’initiative des régionales Natagora de Hesbaye médiane et du Brabant wallon et visant le suivi à long terme du Bruant proyer et des oiseaux des plaines agricoles. Ce suivi est effectué par des recensements suivant 2 méthodes. Les données obtenues devraient permettre de mieux cibler les MAEC.
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Enquêtes Pipit farlouse et Vanneau huppé
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Ce sont des enquêtes menées par le groupe ornitho de la Régionale Brabant wallon de Natagora afin de connaître l’état de ces espèces comme nicheuses dans notre province.
L’enquête concernant le Pipit farlouse a été menée durant les printemps 2015 et 2016 (voir les Bruants Wallons 26 (page 20) et 32 (page 23)). Les conclusions ont malheureusement confirmé nos craintes : malgré une bonne couverture de recherche des sites potentiels de nidification par les ornithos, aucune nidification n’a été trouvée.
L’enquête concernant le Vanneau huppé a été lancée au printemps 2017 (voir le Bruant Wallon 34 page 28). Par manque de suffisamment de données relevantes, il est difficile de tirer des conclusions de cette enquête.
Actions d’aménagement
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Décision du gouvernement wallon de planter 4.000 km de haies
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Le défi est de taille : 4.000 km se traduisent par environ un mètre de haie par habitant de Wallonie. Utopie ou projet réalisable ? L’avenir nous le dira.
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Suivis ornithologiques dans la plaine de Perwez-Thorembais
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Ce projet, né en 2016, est porté par l’UCLouvain, AVES-Natagora et Natagriwal. Nous vous parlions en décembre 2016 du démarrage du projet et en mars 2018 des premiers résultats.
Il s’agit d’un projet pilote visant à protéger le Bruant proyer et les autres espèces des milieux d’agriculture intensive en mettant en œuvre des aménagements à l’échelle d’une plaine de culture. Le projet vise également à tester de nouvelles mesures et à en évaluer les effets.

En fin d’hiver, les cultures pour les oiseaux ont souvent mauvaise mine mais les oiseaux sont bien là, notamment des Bruants proyers, jaunes et des roseaux ainsi que de beaux vols de Linottes mélodieuses.
Les agriculteurs sont, bien sûr, les principaux acteurs du projet. Actuellement, 14 d’entre eux sont engagés dans le projet. Un agriculteur sur trois, exploitant sur la plaine, contribuera donc au soutien aux oiseaux des champs.
Des bulletins de suivi trimestriel sont disponibles sur le site web du GRAEW.
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Opération Mille feuilles
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Initiée en 2016 par le GAL Culturalité Hesbaye brabançonne et l’asbl Faune & Biotopes, cette opération vise la conservation, la restauration et la création de « buissons » dans les plaines agricoles de Hesbaye brabançonne pour y favoriser la biodiversité. Il s’agit donc de planter et d’entretenir des buissons dans la plaine et d’ensuite faire des inventaires ornithologiques pour mesurer l’efficacité de ces buissons.
Nous vous en parlions en mars 2017 dans le Coin des enquêteurs du Bruant Wallon 34.
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Chez un agriculteur
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Un certain nombre d’agriculteurs ont heureusement entamé une démarche dans la voie de l’agroécologie. Parmi eux, citons Claude Henricot, agriculteur engagé dans l’agriculture de conservation des sols sur son exploitation à Corbais. Le prix Baillet Latour de l’environnement, prix le plus important dans le domaine de l’environnement en Belgique, lui a été attribué en 2018 pour la reconversion de son exploitation depuis 2000 vers une exploitation pratiquant une gestion plus raisonnée et durable des sols. Chez Henricot, on a supprimé les labours, on utilise des bandes enherbées, des haies et des couverts végétaux en hiver, on n’utilise plus d’insecticides. Grâce à ces actions, le sol revit et les oiseaux sont présents. Et cela sans perte financière. Il s’agit malheureusement d’une oasis au milieu d’un désert.
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Reconnect
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Action de Natagora, lancée en été 2019, visant à reconnecter naturalistes et agriculteurs pour les aider à travailler ensemble à la sauvegarde du patrimoine naturel.
Conclusions
Les oiseaux des champs sont en déclin, c’est incontestable. Nous connaissons la cause la plus importante : la perte d’habitat au sens large, celle-ci comprenant l’accès aux ressources nécessaires pour se nourrir, se mettre à l’abri des prédateurs et pouvoir nicher.
Des solutions sont connues. Encore faut-il les mettre en œuvre. Efficacement et rapidement, avant qu’il ne soit trop tard !
Vous n’êtes ni politicien, ni agriculteur et vous vous demandez comment agir ? Vous pouvez sensibiliser au problème des agriculteurs que vous connaissez et qui ne sont pas encore engagés dans une démarche agroenvironnementale, mais aussi encourager ceux qui y sont déjà engagés.
Vous pouvez aussi proposer votre collaboration pour les différentes actions dont je vous ai parlé ou pour d’autres dont je n’aurais pas eu connaissance.
Promenez-vous dans les champs[1] et encodez vos observations sur le portail observations.be en donnant un maximum de détails sur ce que vous avez vu ou entendu.
[1] En respectant bien sûr les mesures de confinement et de distanciation sociale
Crédit photos
Bruno Marchal (Linotte mélodieuse)
Didier Kint (Hirondelle rustique, Pipit farlouse)
Patricia Cornet (Moineau friquet)
Philippe Selke (Fauvette grisette)
Pierre Melon (Caille des blés)
Pierre Peignois (Bruant jaune)
Sacha d’Hoop (Tarier pâtre, Vanneau huppé)
Victor Claes (Bergeronnette printanière, Bruant proyer, Alouette des champs)
Vincent Rasson (Perdrix grise, Tourterelle des bois)
Sources
- Hervé Pâques – Présentation faite à la journée de l’environnement 2019 à Orp-le-Grand
- https://www.aves.be/fileadmin/Aves/COA/Publis_COA/28_ans_surveillance_avifaune.pdf
- https://www.natagriwal.be/
- http://etat.environnement.wallonie.be/contents/indicatorsheets/AGRI%2010.html
- https://www.graew.be/
- https://www.aves.be/index.php?id=paco
- https://www.natagora.be/agriculture
- https://culturalite.be/?MillefeuilleS
- https://www.sillonbelge.be/3275/article/2018-10-24/la-ferme-henricot-recompensee-par-le-prix-baillet-latour-de-lenvironnement-2018
- https://www.tvcom.be/la_ferme_et_la_pepiniere_henricot_a_corbais_paradis_des_oiseaux_-21748-999-89.html
- http://www.vivreici.be/article/detail_la-ferme-henricot-laureat-du-prix-fonds-baillet-latour?id=222712
- https://tellier.wallonie.be/home/presse–actualites/publications/planter-4000-kilometres-de-haies-ou-1-million-darbres-en-cinq-ans-tous-a-vos-beches.publicationfull.html