Auteur : Bernard Danhaive Photo d'entête : Emmanuel Decruynaere
Communication et vie sociale
Les oiseaux ont, pour la plupart, développé une vie sociale complexe. Et cela nécessite, d’une part des compétences mentales très sophistiquées, et d’autre part des moyens de communication efficaces.
Illustrons par quelques comportements remarquables :
Les perroquets Jaco s’associent pour résoudre des casse-têtes : lors d’expériences en laboratoire, ils parviennent à tirer ensemble sur une ficelle pour ouvrir une boîte.
Les corvidés et les cacatoès sont capables de retarder la satisfaction d’une récompense s’ils peuvent en obtenir une plus importante plus tard.
La mémoire sociale à long terme des corbeaux est remarquable. Ils se souviennent d’amis, même après une séparation de plusieurs années ; de même ils reconnaissent et se souviennent de visages humains. L’expérience qu’ont menée des chercheurs de l’université de Washington voici quelques années, en est un exemple révélateur : des hommes porteurs de masques particuliers ont capturé des corneilles. Neuf ans plus tard, les corneilles attaquaient les hommes porteurs de ces mêmes masques, même si elles n’étaient pas nées à l’époque ! Ce qui signifie que les oiseaux qui ont assisté à la scène ont transmis leur expérience à leurs jeunes.
Apprentissage social
Imiter ses congénères dans un environnement localisé peut représenter un moyen rapide et peu coûteux d’acquérir de nouveaux comportements. Par exemple, en Angleterre au début du XXe siècle, des mésanges ont découvert qu’en perçant l’opercule des bouteilles de lait déposées devant les maisons, elles pouvaient accéder à une goutte de lait. Et en quelques dizaines d’années, toutes les bouteilles de lait d’Angleterre étaient prises d’assaut.

L’apprentissage peut se réaliser par l’observation ou par l’imitation, mais il peut y avoir aussi un rôle actif de la part de l’enseignant.
L’interaction entre deux animaux peut être qualifiée de formation :
- si le maître modifie son comportement uniquement en présence de l’élève,
- si cela représente un coût pour le maître et en tout cas ne lui fait rien gagner,
- si l’élève acquiert des connaissances ou une compétence plus rapidement qu’autrement.
Relations au sein du couple
Où l’on parle de monogamie sociale et de polygamie reproductrice et des avantages de chacun de ces comportements
80% des espèces d’oiseaux vivent en couples socialement monogames, c’est-à-dire avec le même partenaire pendant une ou plusieurs saisons de reproduction. Par comparaison, chez les mammifères, cette proportion est de 3%.
Quelle est la raison de ce comportement ?
L’activité de nourrir une couvée est si exigeante qu’elle nécessite la participation des deux parents, particulièrement pour les nidicoles.

Et pour cette activité, de très bonnes synchronisation et coordination sont requises ; c’est ce que l’on pourrait appeler l’intelligence relationnelle. Il convient en effet de pouvoir décoder les signaux sociaux subtils du conjoint pour mener à bien cette tâche.
Les liens sont renforcés par des mouvements corporels coordonnés ou par des vocalisations. Prenons comme exemple les danses synchronisées des Grèbes huppés (Podiceps cristatus) ou le cas des Troglodytes maculés (Pheugopedius euophrys), vivant dans les forêts andines, qui chantent de façon tellement bien coordonnée qu’on dirait qu’un seul oiseau chante !
En face de cette monogamie sociale, l’analyse ADN a révélé que des copulations hors couple se produisent chez près de 90% des espèces d’oiseaux. Donc les oiseaux qui forment un couple peuvent être « socialement monogames », mais le sont rarement sexuellement et donc génétiquement.
Quels avantages les oiseaux retirent-ils de ce « vagabondage » ?
Pour les mâles, il est clair que plus nombreux sont les accouplements, plus abondante est la progéniture et donc meilleure est la diffusion des gènes.
En ce qui concerne les femelles, la première hypothèse est qu’elles s’accouplent avec d’autres mâles pour augmenter la diversité génétique de leur progéniture et donc améliorer les chances de survie des oisillons … pour autant que le mâle assurant les soins parentaux ne s’en rende pas compte. En effet, elles courent le risque, si la part de paternité du partenaire dans la couvée devenait trop basse, qu’il abandonne les soins parentaux.
Une autre hypothèse est celle de prévoir une alternative pour l’avenir.
La femelle teste les compétences parentales et les capacités territoriales d’autres mâles. Si l’un d’eux perd ou abandonne sa femelle, il pourrait se tourner vers celle qu’il connaît déjà.
Enfin, ce comportement « volage » favorise la coopération de plusieurs mâles. Puisque tous les mâles impliqués veillent sur l’ensemble du territoire, on retrouve moins d’agressivité et une meilleure protection de la communauté contre les prédateurs.
Quelles sont les capacités cognitives développées par les deux partenaires dans ce contexte ?
Pour le mâle, il s’agit de s’accoupler en douce avec d’autres femelles, de surveiller sa partenaire et le nid conjugal et de protéger son territoire.
Pour la femelle, il s’agit d’échapper à la surveillance du mâle et d’évaluer le potentiel génétique et territorial de ses partenaires occasionnels.
Cela engendre une augmentation de la taille du cerveau pour ces oiseaux « libertins ».
Comportements divers au sein du groupe
Un exemple d’empathie chez les Corbeaux freux …
Lorsqu’un individu a été engagé dans une querelle avec un de ses semblables dans la colonie, il n’est pas rare que son partenaire le réconforte en enroulant son bec autour du sien, durant une ou deux minutes. Ce comportement traduit un degré d’empathie important et nécessite d’abord de reconnaître sa souffrance, et ensuite d’y répondre d’une manière qui l’atténue. De même, cette sensibilité aux émotions d’autrui ne se rencontre que chez quelques espèces de mammifères, comme les grands singes, les chiens ou les éléphants.

… et de méfiance chez les geais
Certains oiseaux sont capables d’attribuer des états mentaux aux autres. Cette capacité est la base de l’empathie et également de l’intelligence sociale.
Prenons l’exemple du geai qui, comme nous l’avons vu, cache sa nourriture.
S’il a été observé par un autre geai, il ira par la suite changer sa nourriture de place. Mais il ne le fera que s’il a lui-même déjà dérobé de la nourriture à un autre !
Cela démontre donc qu’il peut prêter des intentions à un autre individu s’il a lui-même personnellement déjà éprouvé ces intentions.
Mouvements coordonnés
Le comportement collectif des grands groupes d’organismes vivants (poissons, mammifères, oiseaux, insectes ou … êtres humains) suit un modèle d’auto-organisation.
Chez les étourneaux en vol, chaque individu interagit avec jusqu’à sept voisins proches, sur le principe de maintien de la vitesse et de la distance constantes par rapport aux autres. La virtuosité des étourneaux leur permet de prendre des virages serrés en même temps, chaque changement de direction s’effectuant en un peu plus d’une demi-seconde. Et cela donne ces magnifiques ondulations que l’on peut avoir la chance d’observer dans le ciel.
Cadeaux réciproques
L’histoire qui suit est assez instructive … Elle se passe à Seattle et débute en 2011.
Une petite fille avait pris l’habitude de donner de la nourriture à une troupe de corbeaux sur le chemin de l’école. Après un certain temps, les corbeaux se sont mis à l’attendre à l’arrêt de bus. Par la suite, toute la famille s’est prise au jeu et a commencé à les nourrir régulièrement.
Et la relation s’est progressivement transformée en une relation d’échange réciproque, puisque les corbeaux se sont mis à déposer à l’attention de la petite fille des cadeaux brillants : boulon, vis, pierre, perles, briques Lego ou autres petits jouets. La petite fille a choisi de conserver bien précieusement ces objets et de les classer par date.
On peut évidemment s’interroger sur le caractère parfaitement désintéressé de ce geste, mais c’est une preuve encore que les oiseaux peuvent nouer des relations complexes, et même avec d’autres espèces !
Le prochain article traitera de la virtuosité vocale des oiseaux
Bibliographie
- Jennifer Ackerman, Le génie des oiseaux – Les extraordinaires capacités qui ont permis aux oiseaux d’être présents sur toute la planète depuis des millions d’années, Marabout, Science et Nature, 2017
- Lars Svensson, Le Guide ornitho, Delachaux et Niestlé, Les guides du naturaliste
- https://www.oiseaux.net/
- http://arboresciences.blogspot.com/2011/04/transmission-culturelle-chez-les.html
- https://buzzpanda.fr/des-corbeaux-apportent-des-cadeaux-a-une-fillette-de-8-ans-qui-les-nourrit-depuis-4-ans/