Auteur : Bernard Danhaive Photo d'entête : Pierre Peignois
Faculté d’adaptation
Parler de la faculté d’adaptation des oiseaux alors que la survie de nombreuses espèces est menacée dans notre pays et dans le monde, n’est-ce pas aller à contre courant et se voiler la face ?
Les messages alarmants à propos de la perte de la biodiversité se succèdent. Je recommande d’ailleurs la lecture du centième numéro de la revue Natagora à ce sujet.
Mais, ici, le parti pris a été, toujours dans la continuité des articles précédents, de mettre en évidence les capacités cognitives exceptionnelles de nos amis ailés.
C’est donc un message d’espoir[1]sur la force de la vie.
Toutes les espèces animales actuelles sont la preuve vivante qu’elles ont pu s’adapter jusqu’aujourd’hui à des changements dans leur environnement.
La nouvelle ère que nous connaissons actuellement, l’anthropocène, se caractérise par l’impact de plus en plus déterminant des activités humaines sur les grands équilibres de la biosphère et par une pression importante sur les ressources naturelles.
Changement climatique, dégradation des sols, déforestation, dispersion de produits toxiques ont pour conséquence que certaines espèces sont maintenant menacées d’extinction.
Mais dans cette morosité ambiante, certaines espèces tirent leur épingle du jeu.
Il en est ainsi du Moineau domestique (Passer domesticus).
Alors qu’actuellement son déclin dans des villes comme Bruxelles, Paris ou Londres est inquiétant, voire catastrophique, il est bon de se rappeler que cette espèce a été introduite aux États-Unis à la fin du XIXe siècle où elle s’est multipliée et dispersée, au point qu’elle est présente actuellement en Amérique centrale et jusqu’en Amérique du Sud. Elle est même considérée comme envahissante sur plusieurs continents.

Quelles sont les caractéristiques communes aux espèces dites envahissantes ?
On constate en général la présence d’un cerveau plus gros et surtout un comportement plus novateur, plus inventif.
Un comportement synanthrope [2] est également un atout.
Comme exemples, citons :
- les oiseaux insectivores qui viennent se nourrir près des lampes le soir, où ils seront assurés de trouver des insectes en abondance,
- les corvidés qui trouvent dans nos poubelles un apport de nourriture abondant et facilement disponible,
- certains oiseaux nicheurs, tels les merles, qui utilisent des matériaux inhabituels pour confectionner leurs nids, comme des bouts de plastique ou des mégots comme antiparasite,
- les mésanges urbaines qui émettent des sifflements plus aigus, pour se faire entendre dans la cacophonie urbaine à basse fréquence.
- On cite même le cas de moineaux qui volètent devant le capteur de présence d’une porte coulissante automatique à l’entrée d’une cafétaria, pour provoquer l’ouverture de la porte et venir se nourrir à l’intérieur.
- Espèce endémique de la Nouvelle-Zélande, le Nestor kea (Nestor notabilis) vit dans les montagnes de l’île du Sud. Il est devenu un prédateur des moutons, auxquels il inflige de sérieuses blessures en se nourrissant de leur chair.
Au sein d’une même espèce, certains individus sont plus pionniers. Ils sont parmi les premiers à se déplacer vers de nouveaux territoires et sont également prêts à tester de nouveaux aliments.
Cette flexibilité représente donc un avantage, mais elle est risquée et coûteuse : l’exploration de la nouveauté prend du temps et de l’énergie et augmente le risque de s’empoisonner ou de se faire attraper.
A l’inverse, les individus timides, peu adaptatifs ou trop spécialisés courent le risque de voir leur lignée disparaître.
Les pressions environnementales favorisent les variations ou mutations génétiques qui améliorent l’efficacité de l’oiseau à vivre d’une manière inhabituelle ou dans un contexte inédit.
Donc, à l’échelle de l’évolution, les oiseaux opportunistes ont généré plus d’espèces que les oiseaux moins adaptables. Cela expliquerait pourquoi il y a près de 120 espèces de corvidés pour seulement quelques espèces de ratidés (autruches, émeus).
Comment les oiseaux vont-ils s’adapter (ou pas !) au changement climatique ?
Pour chaque espèce, il existe un seuil de tolérance thermique. Lorsqu’il est dépassé, des effets en cascade se produisent sur leur morphologie (taille, croissance), sur leur réponse phénologique[3] et sur l’évolution des populations.
Quelles sont les réponses aux changements climatiques ?
Parlons d’abord des réponses immédiates, où l’oiseau adapte son comportement à la variation de température.
Réponse n°1 : recherche d’un habitat approprié
Pour suivre les déplacements de l’enveloppe climatique à laquelle ils sont adaptés, les oiseaux vont effectuer des déplacements en latitude ou en altitude. Ce comportement existe depuis des millions d’années, avec la succession de périodes glaciaires et interglaciaires.
Mais on constate un emballement du phénomène depuis quelques dizaines d’années.
Cette remontée en latitude est sensible depuis les années 1990 chez 200 des 500 espèces nicheuses européennes, avec une forte accélération à partir des années 2000.
Mais lorsque le déplacement n’est plus possible, comme pour les nicheurs dans l’Arctique, l’Antarctique ou en haute montagne, on constate un déclin des populations. C’est le cas du Lagopède alpin (Lagopus muta) dont les habitats rétrécissent d’année en année.

Et on craint l’extinction locale de certaines espèces d’oiseaux en Nouvelle-Guinée, qui ont déjà atteint le sommet de la montagne la plus haute de la région.
Réponse n° 2 : adaptation du calendrier de reproduction
Cela consiste à pondre plus tard quand le printemps est froid et plus tôt quand il est chaud. Mais cette réponse a ses limites.
Les oiseaux utilisent les signaux du milieu (apparition de la végétation par exemple) qui les informent sur la quantité de nourriture dont ils disposeront un mois plus tard (après la ponte et la couvaison).
Mais pour les migrateurs transsahariens, si le signal qui déclenche leur retour au printemps ne change pas de date, alors que celui qui déclenche l’apparition de sa nourriture en Europe est avancé, il y aura un manque d’adaptation. Ce phénomène fut observé parmi une population de Gobemouche noir (Ficedula hypoleuca) aux Pays-Bas, qui n’a pu se synchroniser avec l’apparition des chenilles, avancée d’une dizaine de jours.

Réponse n° 3 : migration
Un des effets du changement climatique est l’élargissement du Sahara et la dégradation d’habitats qui se fragmentent et se désertifient.
C’est ainsi que l’on constate déjà que beaucoup d’espèces partiellement migratrices se sédentarisent et que beaucoup de migrateurs transsahariens voient leurs effectifs décliner, de l’ordre de 1% par an depuis 20 ans.
La Fauvette des jardins, grande migratrice en est un exemple. D’après des simulations basées sur des scénarios de réchauffement, son trajet de migration devrait s’allonger de 400 à 600 km, ce qui nécessitera pour elle de stocker 9% de graisse supplémentaire, et donc de trouver plus de nourriture lors des haltes migratoires.
Après les réponses immédiates, viendra une réponse adaptative, de nature génétique, qui mettra plusieurs générations pour montrer ses effets. Cette réponse aura pour effet de rétablir le synchronisme rompu … à condition qu’on lui en laisse le temps !
Un exemple est donné par l’histoire d’une population de Mésange charbonnière (Parus major) en Angleterre qui a été suivie pendant un demi-siècle. Le suivi de cette population a montré qu’entre 1961 et 2007, la date de ponte a avancé de 14 jours, ce qui a permis aux oiseaux de se recaler sur la présence des chenilles dont elles se nourrissent.
Quelles sont les espèces les moins capables de s’adapter ?
Les espèces les plus grosses et à la plus longue durée de vie auront le plus de mal à s’adapter : vu la longueur de leur cycle, ils évoluent plus lentement et suivront donc plus difficilement les variations rapides de température.
Les oiseaux qui migrent sur de longues distances sont également particulièrement sensibles au réchauffement climatique : grands voiliers, leur encéphale est relativement petit et ils sont peu flexibles dans leurs comportements.
Certains, en outre, dépendent d’escales précisément programmées pour se nourrir le long de leur itinéraire. Par exemple, la sous-espèce rufa du Bécasseau maubèche américain (Calidris canutus), grand voyageur, parcourt 15 000 km de la Terre de Feu vers l’Arctique.

Et une étape importante se situe dans la baie du Delaware où il reconstitue ses réserves de graisse en se gavant des œufs de limules. Leur arrivée doit donc impérativement être simultanée, faute de quoi les conséquences pourraient être dramatiques pour le limicole.
Qu’en est-il de l’impact sur les interactions entre espèces ?
Les conséquences du changement climatique sur le fonctionnement des écosystèmes sont encore fortement imprévisibles.
Un exemple est à trouver parmi la population de Buses variables (Buteo buteo) en Allemagne. Au cours des vingt dernières années, la population a été multipliée par quatre, montrant une amélioration de la survie, alors que le climat a connu des températures plus froides, et plus d’épisodes neigeux.

La raison est à trouver parmi les proies principales des buses que sont les Campagnols des champs (Microtus arvalis), très sensibles aux conditions climatiques. Pluie et gel lui sont défavorables, alors qu’un couvert neigeux les protège, ce qui entraîne leur multiplication. Mais lorsque le manteau neigeux n’est pas trop épais, leurs prédateurs peuvent les détecter et les capturer. Tout bénéfice pour le nourrissage des jeunes buses !
Cet exemple illustre la complexité des relations que les modifications du climat peuvent entraîner.
Bibliographie
- Jennifer Ackerman, Le génie des oiseaux – Les extraordinaires capacités qui ont permis aux oiseaux d’être présents sur toute la planète depuis des millions d’années, Marabout, Science et Nature, 2017
- Lars Svensson, Le Guide ornitho, Delachaux et Niestlé, Les guides du naturaliste
- http://www.nouvellezelandeservices.com/blog-nzs/2018/7/30/kea-loiseau-farceur
- https://www.oiseaux.net/
- http://www.nashorebirds .org/red-knot/?lang=fr
- BLONDEL Jacques (2020), Comment les oiseaux s’adaptent-ils à un climat qui change ?, Encyclopédie de l’Environnement, [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/vivant/comment-oiseaux-sadaptent-climat-qui-change/.
[1] Lire à ce sujet le dernier ouvrage d’Hubert Reeves, La fureur de vivre.
[2] La synanthropie est un phénomène écologique décrivant un type particulier d’interaction durable entre certains animaux non domestiques et certaines plantes, et des humains à proximité desquels ils vivent.
[3] Phénologie : étude de l’apparition d’événements périodiques (annuels le plus souvent) dans le monde vivant, déterminée par les variations saisonnières du climat (Wikipedia).