Grand-duc d’Europe: présence en Brabant wallon en 2020 et 2021

Auteur : Jean Dandois et Thierry Maniquet 
Photo d'entête : Grand-duc d'Europe - Nicolas Rasson

1. La situation de l’espèce jusqu’en 2019

Le Grand-duc d’Europe (Bubo bubo) est réapparu en Wallonie en 1992 suite à la réintroduction lancée en Allemagne et à la protection accrue dont ont bénéficié les rapaces. Il a progressivement recolonisé le territoire.

L’Atlas 2001-2007 des oiseaux nicheurs de Wallonie nous donne la dernière situation d’ensemble pour la Wallonie comme le montre la carte ci-jointe.

Carte de repartition du Grand-duc
Carte de répartition du Grand-duc d’Europe

Dans notre province, l’espèce a niché en 2 endroits durant cette période. La première nidification a eu lieu en 2003 à Chaumont-Gistoux (comm. pers. E. Chiliade).

La situation a évolué à la hausse depuis lors. Le Centre Belge de Baguage de l’IRSNB, qui suit la reproduction de l’espèce depuis 1989 et assure le baguage des nichées de grands-ducs en Belgique, nous a confirmé la nidification documentée du grand-duc sur 8 sites wallo-brabançons jusqu’en 2019 (comm. pers. D. Vangeluwe). Outre ceux-ci, l’espèce aurait niché sur 3 autres sites mais sans confirmation définitive à ce jour. Enfin, l’espèce a niché en forêt au sol à Genappe(1) en 2019 (3 jeunes), ce qui constitue une première pour la province. Nous arrivons ainsi à une fourchette de 9 à 12 sites qui ont été occupés entre 2003 et 2019 pour la province. Occupation régulière pour les sites favorables et unique pour d’autres.

Mentionnons encore que, côté flamand, un seul couple nicheur était connu dans la vallée de la Dyle durant cette période.

Grand-Duc d'Europe - Adulte sur site de nidification - Dimitri Crickillon
Grand-duc d’Europe – Adulte sur site de nidification – Dimitri Crickillon

2. L’enquête de 2020

2020 fut une année très particulière, comme vous le savez, qui nous a empêchés de mener correctement l’enquête. Elle nous a cependant permis de confirmer la présence et le cantonnement de l’espèce sur plusieurs sites et aussi de découvrir quelques nouveaux territoires.

S’agissant d’évaluer le nombre de territoires occupés par le grand-duc, le repérage des sites potentiellement propices pour l’espèce a été réalisé par le biais d’écoutes hivernales au cours de la période du 15/12/2019 au 31/03/2020. La province a été découpée en 45 rectangles (appelés « carrés ») de 8 km par 5 km comme lors du dernier atlas 2001-2007 des oiseaux nicheurs de Wallonie (anciennes cartes IGN au 1/25.000) et chaque observateur s’est vu attribuer un ou plusieurs carrés. Détails dans l’article paru dans le Bruant Wallon en janvier 2020 : Enquête Grand-duc d’Europe en Brabant wallon – Le Bruant Wallon

Grâce à l’enthousiasme de 32 ornithologues, le territoire du Brabant wallon a pratiquement pu être couvert dans sa totalité, à l’exception de 2 carrés à priori peu favorables pour l’espèce.

Les sites comportant des parois rocheuses ou sableuses (carrières et sablières anciennes ou encore en activité) ont été ciblés comme propices pour l’espèce. Il en va de même pour les constructions en hauteur de bonne taille, représentant autant de falaises artificielles (ruines de grande taille, châteaux, ponts, etc.). Les zones boisées de grande extension n’ont pas été oubliées car l’espèce peut nicher dans d’anciens nids de corvidés et, semble-t-il, aussi, au sol.

Chaque personne ou équipe en charge d’un carré a bien mené le premier passage (durant la période du 15/12/2019 au 10/02/2020) sur les sites propices identifiés au préalable, malgré une météo peu favorable. La réalisation du deuxième passage (entre le 11/02 et le 31/03/2020) a, quant à elle, été fortement perturbée en raison du confinement lié à la pandémie. Et le suivi des sites intéressants n’a guère pu être mené par la suite vu les restrictions de déplacement.

Quels sont les résultats obtenus lors de cette première enquête ?

> Des chanteurs ont été notés sur 5 sites :

    1. carré 32-6 S Grez-Doiceau
    2. carré 39-8 S Villers-la-Ville
    3. carré 40-2 N et S Chaumont-Gistoux
    4. carré 40-3 N Jodoigne

Mais clairement, tous les chanteurs/cantonnements n’ont pas pu être détectés. C’est ainsi qu’une nichée au sol en forêt avec 5 œufs a été découverte le 16/4/2020 à Mont-Saint-Guibert, nichée qui a hélas échoué suite au dérangement. Il s’agirait donc de la deuxième nidification forestière au sol pour la province, après le précédent de 2019 évoqué plus haut.

Grand-duc d'Europe - Nidification au sol - 16-04-2020
Grand-duc d’Europe – Nidification au sol – 16-04-2020

Les carrières de l’ouest de la province n’ont pas été suffisamment prospectées. Il en est de même pour les bois (privés) de Genappe et Villers-la-Ville notamment. Le taux de succès des nichées en 2020 a été faible puisqu’à notre connaissance une seule a produit 3 jeunes (Villers-la-Ville). Plusieurs tentatives ont échoué en raison de dérangements. Une autre nidification est néanmoins probable à Genappe. Et, de source bien informée, nous avons appris que 5 nidifications ont eu lieu et produit 8 jeunes dans un grand domaine forestier privé sur Genappe, Villers-la-Ville et Court-Saint-Etienne, tous les nids sauf un étant au sol ! Et enfin, faisant suite à l’intérêt engendré par cette enquête, une série de données isolées de chanteurs ou non-chanteurs ont été rapportées sur d’autres sites, sans doute des oiseaux à la recherche d’un territoire.

3. L’enquête hivernale de 2021

Sur la base de l’expérience menée en 2020, nous avons remis le couvert en 2021 : même méthodologie et dans la plupart des cas, mêmes observateurs toujours aussi enthousiastes !

La nidification en forêt étant de plus en plus rapportée, également dans les autres régions du pays, une attention particulière a été portée sur les milieux boisés. D’autre part, les sablières, en activité ou non, et les carrières, sites majeurs pour l’espèce, devaient être bien inventoriées.

Quels ont été les résultats obtenus lors de cette deuxième enquête ?

L’enquête hivernale de ce début d’année a été beaucoup plus productive que celle menée en 2020. Sans entrer dans les détails, voici la liste des sites identifiés où l’espèce a été notée comme chanteuse et/ou observée.

> Des chanteurs sont notés sur 13 sites. Ces sites reprennent des territoires connus mais de nouveaux sites ont été (re)découverts :

    1. carré 32-6 S Grez-Doiceau 1
    2. carré 32-6 N Grez-Doiceau 2
    3. carré 39-1 S Rebecq
    4. carré 39-2 S Braine-le-Château
    5. carré 39-8 S Villers-la-Ville 1
    6. carré 39-8 S Villers-la-Ville 2
    7. carré 39-8 N Genappe 1
    8. carré 40-1 S Mont-Saint-Guibert 1
    9. carré 40-2 S Chaumont-Gistoux 1
    10. carré 40-2 N Chaumont-Gistoux 2
    11. carré 40-2 N Chaumont-Gistoux 3
    12. carré 40-5 S Villers-la-Ville 3
    13. carré 40-6 N Perwez

Deux autres sites sont encore à mentionner, pour lesquels des informations complémentaires sont nécessaires mais où l’installation de l’espèce est à priori probable : il s’agit des carrières en activité de Bierghes et de Quenast.

Pour aller plus loin et essayer d’identifier les territoires de nidification de l’espèce en Bw, nous avons ensuite lancé une nouvelle enquête visant à évaluer le nombre de nidifications et le nombre de jeunes à l’envol.

Grand-duc d'Europe - Adulte en vol - 01.05.2019 - Bruno Marchal
Grand-duc d’Europe – Adulte en vol – 01.05.2019 – Bruno Marchal

4. L’enquête estivale de 2021

Afin d’obtenir une confirmation de la présence de jeunes dans les sites où une nidification potentielle était espérée, il s’agissait de réaliser deux points d’écoute (minimum) par site entre début juin et la mi-août.

A partir de 4 semaines, les jeunes grands-ducs émettent en effet des cris réguliers et caractéristiques (un chii soufflé émis toutes les 6 à 9 secondes https://xeno-canto.org/448133) pour quémander de la nourriture aux adultes, principalement à partir de la tombée de la nuit. Les cris deviennent plus fréquents et plus forts à mesure qu’avance la nuit. Il était donc conseillé de ne pas débuter/arrêter trop tôt le point d’écoute qui pourrait ainsi durer plus de 2 heures…

Les résultats obtenus sont les suivants :

    1. carré 39-2 S Braine-le-Château : 2 juvéniles entendus le 01/07
    2. carré 39-8 N Genappe 2 : une nichée forestière au sol avec 4 œufs le 04/04 : abandon du nid et échec suite au dérangement…
    3. carré 40-1 N Wavre : une nichée en hauteur sur une attraction à Walibi : 2 jeunes ont été retirés du nid et conduits au Creaves de Perwez… Relâchés ultérieurement du côté de Bonlez, un des juvéniles a été retrouvé épuisé et confié à Birds Bay.
    4. carré 40-2 S Chaumont-Gistoux 1 : 3 jeunes, malgré les importants travaux du projet Life intégré de restauration de landes à bruyère menés sur le site.
    5. carré 40-2 N Chaumont-Gistoux 2 : 1 juvénile criant le 18/06.
    6. carré 40-5 N Mont-Saint-Guibert 2 : une nichée forestière au sol avec 1 jeune au moins le 28/04
Grand-duc d'Europe - Jeune en duvet, nid au sol - 28-04-2021
Grand-duc d’Europe – Jeune en duvet, nid au sol – 28-04-2021

La météo n’a pas été optimale durant une bonne partie de la période : nombreuses pluies intenses et vent. Ces mauvaises conditions pour la nidification, au sol notamment, jointes aux dérangements liés à l’afflux de promeneurs indisciplinés en forêt en cette période de Covid et de télétravail, ont clairement eu un impact négatif sur le succès de la reproduction. De source bien informée cependant, nous avons appris que 4 nidifications ont eu lieu et produit seulement 2 jeunes dans le même grand domaine forestier privé déjà mentionné sur Genappe, Villers-la-Ville et Court-Saint-Etienne.

5. En guise de conclusion

Le Grand-duc d’Europe dispose d’une population bien établie en Brabant wallon.

L’espèce est cependant discrète et peut facilement passer inaperçue.

A côté des individus matures et installés, il y a les individus de la population « flottante », en général des jeunes à la recherche d’un territoire. Ceux-ci chantent également ce qui n’implique pas pour autant une possible nidification.

L’occupation récurrente de sites de nidification dépend évidemment de la qualité de ceux-ci et de la quiétude relative, l’espèce étant très sensible à tout dérangement jusque fin avril.

La nidification forestière au sol a été rapportée à plusieurs reprises lors des recherches, en particulier dans des bois privés où il n’y a pas ou moins de dérangement. Le nid est alors généralement installé dans un talus au pied d’un arbre.

L’enquête menée en 2021 a été la plus complète et a permis de détecter de nombreux chanteurs. 6 nidifications ont par ailleurs pu être prouvées : « juvéniles vus ou entendus ». Comme cela a été mentionné, d’autres nidifications ont eu lieu, en particulier dans des sites privés non accessibles (carrières en activités, massifs forestiers).

Il ne nous est dès lors pas possible d’évaluer au plus près la population nicheuse de la province. Tout au plus peut-on estimer que celle-ci se situe dans une fourchette de 8 à 15 couples.

La poursuite des observations à l’avenir nous permettra certainement de préciser mieux encore le statut de ce magnifique super prédateur dans la province.

Grand-Duc d'Europe - Chaumont-Gistoux - 25.05.2008 - Nicolas Rasson
Grand-duc d’Europe – Chaumont-Gistoux – 25.05.2008 – Nicolas Rasson

Remerciements

Nous tenons à remercier les quelques 35 ornithologues qui se sont mobilisés en prenant en charge un ou plusieurs carrés pour ces enquêtes menées en 2020 et 2021. Ils et elles se reconnaitront.

Merci également aux personnes suivantes pour leur contribution, le partage d’expérience et les informations fournies : Didier Vangeluwe, Eric Chiliade, Christophe Rousseau et Marc Fasol.

(1) Dans le souci de protéger les sites fréquentés par l’espèce, seuls les noms des communes sont mentionnés ici.