Auteur : Jérémie Van Brussel Photo d'entête : Frelon asiatique (Vespa velutina) - Limal - Bernard Danhaive
Chaque année, la presse généraliste en fait désormais ses gros titres à la fin de l’été : le Frelon asiatique s’étend sur notre territoire. Entre les craintes traditionnelles des piqûres douloureuses et de l’envahisseur étranger, l’arrivée de ce nouvel hyménoptère chez nous provoque des réactions parfois irrationnelles. Vingt ans après son arrivée en France et après quelques années de lutte chez nous, alors que les reines fondatrices vont sortir de leur torpeur hivernale, essayons de faire le point sur ce que l’on a appris de l’insecte et ce que mettent en œuvre les autorités et les apiculteurs, pour faire face à l’envahisseur !
Nous l’appelons Frelon asiatique, car il nous vient de Chine, mais des espèces de frelons en Asie, il y en a plusieurs. Elles sont même nombreuses. Mais voilà donc que nous est arrivée Vespa velutina, dans un conteneur mu par la magie du commerce mondialisé, dans une poterie « Made in China ».
C’est en 2004 que l’espèce a ainsi été involontairement introduite en Europe dans la région de Bordeaux. Une reine s’était trouvée bien au chaud dans un cruchon de faïence et s’est vue embarquée pour un voyage inattendu qui l’a menée vers un magasin de poterie comme les touristes en raffolent. Sortie de sa poterie, la Dame Frelon s’est alors trouvée dans une contrée bien à son goût : sans parasite, sans prédateur, sans concurrent et surtout, riche en nourriture. Une première colonie est née et de là est partie une expansion à faire pâlir d’envie les Napoléon de tout poil.
Rapidement, l’espèce s’étend sur une large part du territoire français, descend en Espagne et remonte toujours plus au nord pour arriver en Belgique vers 2016. Dès la première année, en 2004, les autorités françaises ont tenté d’éradiquer l’espèce mais en Belgique, s’il a été espéré un temps préserver le territoire du Royaume, il a rapidement fallu se rendre compte qu’une politique moins ambitieuse – et plus raisonnable – allait être de mise. Nous y reviendrons.
Quelles différences avec le Frelon européen ?
Lorsque l’on parle de frelons déjà, de nombreuses échines se hérissent. Certains imaginent une mygale dotée d’ailes, capable de foudroyer un homme en une seule piqûre ! La réalité est heureusement moins effrayante.
Une espèce de plus ou de moins, quel est le problème ?
La problématique des espèces exotiques envahissantes est vaste et concerne tout le règne du vivant.
Un danger pour l’homme ?
De très nombreuses personnes ont peur des insectes, et en particulier des guêpes, car souvent le souvenir d’une piqûre douloureuse reste bien présent. On rencontre parfois des personnes soucieuses de traiter leur gazon pour empêcher l’apparition de fleurs ayant des feuilles qui supportent les fauchages fréquents comme le trèfle. Objectif : éviter leur floraison et comme corollaire, la présence d’abeilles qui piqueraient le pied nu d’un enfant gambadant. Ces pratiques interdites sont en recul et les désherbants sélectifs sont désormais interdits à la vente aux particuliers, mais les craintes subsistent.
Le frelon n’échappe pas à la terrible réputation des insectes piqueurs. Au contraire, sa simple évocation éveille chez certains une peur panique défiant toute rationalité. Car certes, son dard est puissant et son venin très douloureux, mais il est loin de faire autant de victimes que ses cousines les guêpes. Car il entre bien moins en contact avec l’humain. Après près de 20 ans de présence en France, il est constaté que les accidents liés à des piqûres d’hyménoptères n’ont pas augmenté. Seules les personnes allergiques peuvent rencontrer des complications graves lorsqu’elles sont piquées par Vespa velutina, mais les mêmes complications se présentent lorsqu’elles sont piquées par des guêpes ou des abeilles. Quelques accidents ont été recensés en Belgique suite à des opérations d’élagage ou d’abattage, mais aucun décès n’est à déplorer jusqu’ici.
Insistons sur le fait que la meilleure protection est bien l’absence de contact qui rend les accidents moins probables. Ceci étant, au fil des ans, il est constaté que des nids de Frelons asiatiques sont de moins en moins cantonnés aux branchages hauts et il arrive désormais qu’il s’en construise dans des haies ou du bâti humain. Il faut alors être très prudent car si une piqûre isolée ne présente pas de danger majeur, la défense du nid par une colonie peut être extrêmement dangereuse pour l’humain présent à proximité. Si l’on constate la présence d’un nid proche de l’activité humaine, il est particulièrement important de le signaler en vue de sa destruction par les services compétents.
La lutte s’organise !
En Région wallonne, c’est le Département d’Etude des Milieux Naturels et Agricoles (DEMNA), et plus particulièrement en son sein la Cellule interdépartementale des Espèces Invasives (CiEi) qui est chargée du suivi de l’espèce, en collaboration avec le Centre wallon de Recherche Agronomique (CRA-W). Suite à un appel d’offres, un prestataire a été désigné pour effectuer les destructions de nids et une plateforme de signalement a été mise à disposition du public.
L’api(culteur) fait de la résistance
C’est dans les ruches d’abeilles domestiques que l’impact du Frelon asiatique est le plus visible. Piètre chasseur, il apprécie beaucoup ces garde-mangers faciles d’accès qui n’opposent aucune résistance et lui permettent d’accéder aux protéines dont il a besoin pour nourrir le couvain de sa colonie. Or l’on sait que le secteur est déjà sous tension.
De quoi l’avenir sera-t-il fait ?
Les pronostics pour l’avenir de l’espèce à court terme sont très contrastés. Si le DEMNA s’attend à un doublement du nombre de nid cette année, Michael Debiere se veut plus optimiste : « Nous avons appris de l’expérience française et des erreurs commises également durant les premières années de l’invasion en Belgique qui ont mené aux progressions vertigineuses du nombre de nids. Je pense que nous aurons moins de nids en 2023 que l’année dernière. Nous testerons cette année une nouvelle méthode avec injection de terre diatomée à la place d’insecticides. Si c’est concluant, nous pourrons privilégier cette méthode lorsque le nid ne présente pas de danger immédiat. Ceci étant, nous sommes en mars et à ce stade, nous n’avons aucune information quant à la prise en charge des destructions par les autorités publiques pour cette année 2023 ! ».
À ce stade, aucune décision n’est effectivement intervenue quant à la poursuite des opérations en 2023 telles que menées les années précédentes. Le Ministère de l’environnement et les collectivités d’apiculteurs ont récemment sollicité le concours du Ministère de l’agriculture pour augmenter les moyens publics consacrés à la lutte. Mais à plus longue échéance, la réalité changera et les réponses apportées devront être également adaptées. Selon les observations de l’espèce en Europe, le DEMNA prévoit à terme un plafond de 9 000 nids annuels en Wallonie. Néanmoins, quiconque a lu le présent article en ayant conscience de la réalité des finances publiques aura compris que les autorités ne pourront mener une politique de destruction systématique ad vitam aeternam. D’autant que les priorités viendront inévitablement à changer : d’autres espèces exotiques envahissantes pourraient arriver, y compris des frelons comme Vespa Mandarinia, également asiatique, extrêmement agressif et dangereux, qui s’est récemment attaqué à l’Amérique du nord.
Une fois de plus, comme lors de l’arrivée du Varroa, la pratique de l’apiculture devra évoluer, s’adapter avec pour mots d’ordre la passion et la solidarité. Car l’échange de bonnes pratiques et l’organisation collective seront les meilleures armes face aux menaces présentes et à venir.
Quant à nous, citoyens, nous serons sans doute encore invités à effectuer les signalements pour permettre les destructions de nids et ainsi donner le temps au secteur apicole de s’adapter. Mais si nous voulons sauver nos insectes, nous devrons aussi accepter Vespa velutina et avec lui comme avec tous, cohabiter.