L’intelligence des oiseaux (6)

Auteur : Bernard Danhaive
Photo d'entête : Sterne arctique - Vincent Rasson

Ingéniosité spatiale

S’orienter, naviguer, mémoriser des emplacements ou cachettes : ces processus remarquablement bien développés chez certaines espèces d’oiseaux nécessitent des compétences particulières.

Il s’agit pour eux de percevoir leur environnement de différentes manières, de calculer des distances, de faire appel à leur mémoire et à l’instinct et de prendre les bonnes décisions.

Certaines capacités sont innées, d’autres sont acquises.

S’orienter

La façon dont les oiseaux s’orientent et naviguent lors de leurs longs déplacements, et les mécanismes mis en jeu présentent encore des zones d’ombre, et cela malgré des décennies de recherches.

Le meilleur sujet d’expérimentation dont nous disposons est bien sûr le pigeon voyageur.

Historiquement, l’homme exploite l’instinct d’orientation du pigeon depuis au moins 8 000 ans. Les Romains, les Phéniciens, les Égyptiens et les militaires durant les deux guerres mondiales ont pu mettre à profit son sens de l’orientation, qui lui permet de parcourir jusqu’à 1 600 km pour revenir à son pigeonnier.

Par quel moyens les oiseaux s’orientent-ils ?

Il faut en premier lieu distinguer le retour vers un lieu connu au dessus d’un territoire familier, d’une vraie navigation.

Dans le premier cas, la mémoire visuelle ou olfactive est principalement sollicitée par les pigeons de concours, par exemple.

Pigeon domestique - Bruno Marchal
Pigeon domestique – Bruno Marchal

Mais d’une façon générale, deux mécanismes sont mis en œuvre lors de grandes migrations par exemple : l’utilisation d’une carte mentale et d’une boussole.

Comme tout navigateur le sait, utiliser une boussole sans disposer d’une carte n’est pas très utile. Et l’inverse non plus !

D’abord la carte mentale : où l’oiseau se situe-t-il et dans quelle direction doit-il partir ?

Comme chez l’homme, la carte cognitive des oiseaux se situe dans l’hippocampe, réseau neuronal qui nous aide à nous orienter dans l’espace.

La taille de l’hippocampe est proportionnelle à la capacité à s’orienter. Sans surprise, les grands migrateurs – comme par exemple la Barge rousse et la Sterne arctique – et les oiseaux qui cachent leur nourriture sont dotés d’un hippocampe plus gros que la moyenne.

Mais également ceux qui parasitent les couvées, comme le Coucou gris. Ils sont capables de mémoriser l’emplacement des nids, de se synchroniser avec la ponte et d’attendre le moment où les parents sont absents pour venir y pondre.

Et cette capacité à s’orienter peut se développer : les pigeons voyageurs entraînés à la navigation ont un hippocampe 10% plus gros que ceux qui restent enfermés[1].

Les oiseaux égarés lors d’une tempête ou un ouragan sont souvent[2] capables de retrouver leur chemin ; ce qui prouve que leur carte de navigation mentale est très étendue. Et c’est particulièrement vrai pour les adultes expérimentés. On peut en conclure que cette carte est construite par l’apprentissage.

Mais les jeunes de l’année, dont le départ en migration n’est pas synchronisé avec celui des adultes, comme les jeunes coucous et les macareux par exemple, pourront arriver à destination sans encombre. Le programme pour s’orienter (horloge et boussole) est donc partiellement inné ; il leur permet de déterminer pendant combien de temps ils doivent voler et dans quelle direction.

Ensuite la boussole : comment utiliser des repères directionnels présents dans son environnement ?

Pour cela, différents types d’information sont disponibles : le soleil, les étoiles, les champs magnétiques, les caractéristiques du paysage, les conditions météo, les odeurs …

De quelle façon perçoivent-ils et interprètent-ils ces éléments ?

  1. Le soleil: l’horloge interne de l’oiseau, très précise, permet de savoir à tout moment de la journée où le soleil devrait se trouver.
  2. Il en va de même de la position des étoiles pour les migrateurs nocturnes.
  3. Et qu’en est-il par temps couvert ? Les lignes de champ magnétique terrestre donnent une indication sur la latitude, puisqu’elles s’affaiblissent des pôles jusqu’à l’équateur.
    Comment les oiseaux peuvent-ils détecter ces lignes ? (d’ailleurs les abeilles et les baleines en sont aussi capables).
    Deux hypothèses existent : soit des molécules présentes dans la rétine leur permettraient de « voir » les champs magnétiques ; soit des capteurs magnétiques contenant des cristaux d’oxyde de fer, situés quelque part dans la tête (cavité nasale, bec ou oreille interne) y seraient sensibles. En tout cas, les détecteurs des pigeons sont tellement précis qu’ils détectent les bruits électromagnétiques produits par les dispositifs électroniques humains dans les villes.
  4. Pour les paysages survolés, les oiseaux vont se fier à des repères stables, tels les côtes, les fleuves, les voies de chemin de fer ou les routes.
  5. Les oiseaux sont sensibles aux variations de pression atmosphérique. Cette capacité leur permet d’anticiper les tempêtes. On suppose également qu’ils peuvent détecter des signaux infrasonores naturels, se propageant sur de très grandes distances. Ainsi sont-ils capables de réagir lorsqu’un ouragan est encore très éloigné.
  6. Ensuite l’odorat. On peut faire l’hypothèse qu’ils se repèrent pour leurs déplacements sur la signature odorante que laissent certains environnements. D’ailleurs cette capacité est mise en évidence dans d’autres circonstances :
        • Chez les oiseaux marins, tels les puffins, les fulmars ou les albatros, le bulbe olfactif est particulièrement développé. Et c’est grâce à leur odorat qu’ils trouvent leur nourriture en mer. En effet, ils sont par exemple capables de détecter une molécule émise par le phytoplancton.
          Fulmar boréal - Vincent Rasson
          Fulmar boréal – Vincent Rasson
        • Les vautours de leur côté détectent l’odeur des carcasses en décomposition à des kilomètres de distance, et même à contre vent.
        • Une Mésange bleue n’entrera pas dans son nid si elle y détecte l’odeur d’un mustélidé.
          Mésange bleue - Bernard Danhaive - Rixensart
          Mésange bleue – Bernard Danhaive – Rixensart
        • Lors de la construction de son nid, elle garnit celui-ci de feuilles de plantes odorantes, comme la menthe ou la lavande, pour le protéger des parasites.

Mémoriser des emplacements

Les oiseaux se constituent une carte mentale de leur environnement physique, plus ou moins sophistiquée suivant l’usage qu’ils doivent en faire.

Les oiseaux qui cachent leurs provisions de nourriture ont particulièrement bien développé cette faculté.

Prenons l’exemple du Cassenoix d’Amérique (Nucifraga columbiana). Il se constitue plusieurs milliers d’emplacements où il cache des pignons de pins, dispersés sur des territoires de dizaines, voire de centaines de km². Et il les retrouvera quasi tous, sur une période allant jusqu’à six mois, grâce au souvenir précis des localisations. Et cela, malgré les changements d’apparence des paysages en fonction des saisons.

Vu la taille des pignons, la précision doit être quasi millimétrique !

Et la mémorisation des cachettes est propre à chaque individu et n’est pas partagée. Cela explique pourquoi, pendant l’incubation, les deux parents cassenoix se relaient sur le nid, chose assez inhabituelle chez les corvidés.

Comme le mâle ne connaît pas les cachettes de la femelle et que ses propres réserves sont insuffisantes pour nourrir le couple, il remplace la femelle sur le nid pour lui permettre de chercher elle-même sa propre nourriture.

Et d’une façon générale, les oiseaux « stockeurs » – comme les geais par exemple – récupèrent d’abord les aliments les plus périssables, comme les fruits, les insectes et les vers, avant les noix et les graines.

Cela peut être apparenté à la mémoire épisodique chez l’homme.

Autre exemple remarquable de navigation : les colibris.

Leur dépense d’énergie est telle qu’ils ne peuvent se permettre de la gaspiller à visiter des fleurs dépourvues de nectar.

Colibri de Rivoli - Vincent Rasson
Colibri de Rivoli – Vincent Rasson

Ils sont donc capables de mémoriser les fleurs qu’ils ont déjà visitées ainsi que le temps qu’elles mettent à se remplir à nouveau. Ils y retourneront quand elles seront à nouveau en mesure de les nourrir. Et pourtant, à nos yeux, l’environnement semble dépourvu de points de repères.

En conclusion, les oiseaux semblent disposer de plusieurs moyens de s’orienter, en fonction de l’espèce, de leur expérience et de l’environnement dans lequel ils ont grandi, et suivant leur style ou « caractère » propre. Et leur cerveau pratique une « intégration cognitive » en fusionnant les résultats de différents processus qui fonctionnent en parallèle.


Pour les migrations, vous pouvez également consulter deux articles parus précédemment dans le Bruant Wallon : en 2013, « Les migrations et l’impact du réchauffement climatique » et en 2017, « La migration en haute altitude« .


L’article suivant traitera de la faculté d’adaptation des oiseaux.

Bibliographie

[1] Les taximen londoniens expérimentés doivent pouvoir localiser 25 000 rues pour effectuer leur travail. Des études ont démontré qu’ils possédaient plus de matière grise dans la partie arrière de leur hippocampe que les débutants. Et comme corollaire, on peut en déduire que l’usage intensif du GPS pourrait faire s’atrophier cette capacité …

[2] Lorsque ce n’est pas le cas, ces égarés venant parfois de très loin font le bonheur des observateurs attentifs !